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LA DYNAMIQUE DES HELLÈNES APRÈS ARISTOTE


plus haut, si l’on diminue dans un certain rapport la densité du corps [qui forme le milieu], on diminue d’autant le temps additionnel qui provient de la résistance du milieu ; mais on ne le consomme jamais entièrement ; on le diminue seulement dans le rapport où la densité a été diminuée, comme on l’a dit ; car un corps deux fois moins dense ne sera pas traversé en un temps deux lois moindre. »

Ayant ainsi refusé tout crédit, à la loi de la chute des graves invoquée par Aristote, Philopon serait à l’aise pour accorder cet axiome des Atomistes : Tous les corps tombent, dans le vide, avec la même vitesse. Cependant, c’est ce qu’il ne fera pas. « Que le mouvement se fasse maintenant dans le vide, dit-il[1], il n’y aura pas nécessité que tous les corps se meuvent avec même vitesse. Ὅτι μὲν οὖν ϰαὶ εἰ διὰ ϰενοῦ ἐγίνετο ἡ ϰίνησις, οὐϰ ἦν ἀνάγϰη ἰσοταχῶς πάντα ϰινεῖσθαι… »

Comment Aristote s’y prend-il, en effet, pour acculer tout partisan du mouvement dans le vide à recevoir l’axiome des Atomistes ? Il regarde comme assuré qu’aucune cause ne peut donner à des corps qui tombent des vitesses différentes, si ce n’est la résistance du milieu ; il en conclut que toute différence entre les vitesses de chute disparaîtra, là où la résistance aura disparu avec le milieu même.

Pour Philopon, qui regarde la gravité comme une qualité absolue, inhérente à chaque corps, définie indépendamment de toute considération du milieu où le corps est plongé, cette conclusion n’a plus rien de forcé. La gravité particulière à chaque corps ne pourra-t-elle, même abstraction faite de toute résistance, même si le mouvement a lieu dans le vide, imprimer au corps une chute dont la vitesse lui sera propre ?

Notre auteur va donc maintenir, à l’encontre d’Aristote, que des poids différents pourraient tomber, dans le vide, avec des vitesses différentes ; et pour cela, il va établir que, dans le plein, les différences entre les vitesses de chute des divers corps n’ont pas pour unique cause les différences de résistance du milieu.

« Si c’était, en effet, la seule cause du mouvement inégal[2], des corps inégaux en poids, portés au travers d’un seul et même milieu, devraient être mûs avec une égale vitesse, puisqu’aucune différence n’est produite par les poids, et que le mouvement différent provient uniquement de ce quo les milieux sont différents. Or

  1. Jean Philopon, loc. cit., éd. 1542, fol. 31, col. a ; éd. 1581, p. 203, col. b ; éd, grecque de 1888, p. 680.
  2. Jean Philopon, loc. cit., éd. 1542, fol. 30, coll. c et d, et fol. 31, col. a ; éd. 1581, p. 202, col. b, et p. 203, col. a ; éd. grecque de 1888, pp. 678-679.