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LA DYNAMIQUE DES HELLÈNES APRÈS ARISTOTE


meuvent selon le rapport de forer (ῥοπή) qu’ils ont l’un à l’égard de l’autre. »

Jean Philopon attaque vivement l’argument qu’Aristote a dressé contre les Atomistes, et il l’attaque de deux côtés à la fois. Aristote a regardé comme avérée une certaine loi générale de la chute des corps ; il en a conclu que, dans le vide, les graves ne tombaient pas tous avec la même vitesse, comme le prétendent les partisans de Leucippe, de Démocrite et d’Épicure. Le Grammairien conteste, d’une part, l’exactitude de la loi admise par Aristote ; mais il conteste, d’autre part, que, dans le vide, tous les corps doivent, quel que soit leur poids, tomber avec la même vitesse.

Voyons d’abord comment il argumente contre le principe qu’Aristote tient pour reçu : Des corps de même grandeur et de même figure tombent avec des vitesses qui sont proportionnelles aux poids de ces corps et en raison inverse des densités des milieux qu’ils traversent.

Pour bien comprendre cette argumentation, il convient, tout d’abord, de remarquer ceci : Le Grammairien regarde les deux parties de cette loi comme si indissolublement liées l’une à l’autre, que ruiner la première partie, celle qui rend la vitesse proportionnelle au poids du grave, c’est jeter bas la seconde, celle qui fait varier la vitesse en raison inverse de la densité du milieu. « Ce n’est pas en accord avec la vérité, dit notre auteur[1], qu’Aristote fait cette supposition : Le rapport qu’ont entre eux les milieux au travers desquels se font les mouvements est aussi le rapport qu’ont entre elles les durées de ces mouvements… Ce qui donne, à cette proposition, un semblant de probabilité, ce qui ne permet pas d’en prendre la preuve en défaut, c’est l’impossibilité où nous sommes de déterminer quel rapport de densité (σύστασις) il y a entre l’air et l’eau, dans quelle mesure l’eau est plus dense (παχύτερος) que l’air, ou bien tel air plus dense que tel autre air. Mais, par la considération des mobiles, cela, [qu’Aristote fait une fausse supposition], se peut démontrer.

» Admettons, en effet, que le rapport des durées des deux chutes soit aussi le rapport [des densités] des milieux au travers desquels se fait le mouvement, lorsqu’un seul et même mobile tombe successivement en deux milieux différents. Puisque, d’autre part, la différence entre les mouvements ne provient pas seule-

  1. Joannis Grammatici Philoponi In Aristotelis physicorum libros commentaria ; lib. IV, collarium de inani : éd. 1542, fol 31, coll. a, b et c. ; éd. 1581 p. 204, col. b : éd. grecque de 1888, pp. 682-684.