Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
358
LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


parfois, surpris et comme scandalisés par ce raisonnement. Aristote y semble admettre que les corps se meuvent dans le vide avec une certaine vitesse, cependant, il vient d’enseigner que la chute d’un grave dans le vide serait instantanée, si elle était possible ; il semble qu’il se contredise.

Ils n’ont point compris l’intention d’Aristote. Celui-ci, qui croit le vide impossible, ne peut parler du mouvement dans le vide sans aller à l’encontre de sa propre pensée. Aussi tous les raisonnements où il fait intervenir le mouvement dans le vide sont-ils, comme l’a fort bien vu Saint Thomas d’Aquin[1], des arguments ad hominem ; il accorde à ses adversaires une des propositions de leur enseignement, et il s’efforce de montrer que cette proposition contredit à quelque aphorisme communément reçu. Ici, par exemple, il accorde que si le vide existait, tous les corps y tomberaient avec la même vitesse, et il montre, que ce corollaire est incompatible avec la loi générale de la chute des corps dans un milieu quelconque.

Cette loi, conséquence directe des principes de Dynamique qu’Aristote a formulés au septième livre de la Physique, peut s’énoncer ainsi : Si des corps, tous de même grandeur et de même figure, mais formés par des substances différentes, tombent en des milieux différents, la vitesse de la chute de chacun d’eux sera proportionnelle au poids du corps qui tombe et en raison inverse de la densité du milieu.

À l’énoncé de cette loi, Aristote avait eu soin de joindre cette restriction que les corps considérés doivent être terminés par des surfaces identiques, « ἐὰν τἆλλα ὁμοίως ἔχῃ τοῖς σχήμασι ». Il avait fait observer, en effet, qu’en changeant la figure d’un corps, en l’aiguisant en pointe, par exemple, on changeait la résistance du milieu et, partant, la vitesse de chute du grave.

La loi qu’Aristote invoquait contre les Atomistes fut très généralement reçue dans l’Antiquité ; souvent même, en l’énonçant, on négligeait la restriction que le Philosophe y avait mise. Nous en trouvons la preuve dans un texte qui remonte certainement à l’Antiquité grecque[2], et que les Arabes ont transmis à la Chrétienté latine en l’attribuant à Euclide.

Ce fragment, dont les copies manuscrites ne sont rien moins que rares, a été imprimé à plusieurs reprises. Herwagen (Herwa-

  1. S. Thomæ Aquinatis Expositio in libros physicorum Aristotelis, lib. IV, lect. XIII.
  2. Les lettres employées dans les démonstrations s’y succèdent suivant l’ordre caractéristique : a, b, g, d, e, z, h, t. C’est, selon Hultsch, la marque certaine que l’ouvrage original était écrit en grec.