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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


cet attribut ; il s’est bien plutôt attaché à en distinguer les diverses espèces.

On peut discerner en effet, selon lui, deux positions d’un corps : l’une est la position propre du corps ou, comme nous dirions plus volontiers aujourd’hui, la disposition de ses diverses parties ; l’autre est la position du corps dans l’Univers.

Parmi les positions propres du corps, il en est une qui, plus que toute autre, convient à sa nature ; ses diverses parties sont alors disposées de la manière la mieux adaptée à la perfection de la forme. De même, parmi les positions du corps dans l’Univers, il en est une qui est la meilleure possible ; elle est, pour ce corps, la position naturelle.

Le lieu (τόπος) n’est pas la position (θέσις) ; il en est distinct comme le temps est distinct du mouvement ; selon Aristote, le temps est la mesure numérique (ἀριθμός) du mouvement ; de même, selon Damascius, le lieu est l’ensemble des mesures géométriques (μέτρον) qui servent à fixer la position. Voici en quels termes Simplicius formule[1] le principe de la théorie de son maître : « Il paraît donc que le lieu est la mesure de la position des corps qui sont placés, tout comme on dit que le temps est le nombre qui mesure le mouvement des corps qui se meuvent. Ἔοιϰεν οὖν ὁ τόπος μέτρον εἶναι τῆς τῶν ϰειμένων θέσεως, ὥσπερ ὁ χρόνος ἀριθμὸς λέγεται τῆς τῶν ϰινουμένωνον ϰινήσεως. »

Pour traduire le mot μέτρον, employé par Damascius et Simplicius, nous avons dit : mesure géométrique ; nous sommes assurés d’avoir ainsi rendu d’une manière exacte la pensée de Damascius, car en un passage de son livre, cité[2] par son disciple, nous lisons que la mesure propre à déterminer le lieu détermine également la grandeur.

Selon Damascius, donc, le lieu est un ensemble de mesures géométriques ; mais cet ensemble de grandeurs accessibles aux procédés du géomètre sert seulement à décrire, à déterminer un attribut du corps, la position ; cet attribut est essentiellement distinct du lieu, qui n’en est que la mesure ; la nature de cet attribut est inaccessible aux méthodes de la Géométrie.

Simplicius développe[3] la théorie du lieu que Damascius a posée ; il la compare à la théorie d’Aristote, afin de montrer comment

  1. Simplicius Op. laud., lib, IV, corollarium de loco ; éd, cit., p. 627.
  2. Simplicius, cit, ; éd. cit., p. 645. — Sur ce point, d’ailleurs, Simplicius ne s’accordait pas avec son maître ; il voulait que la mesure de grandeur fût distincte de la mesure de lieu (Simplicius Op. laud., lib. IV, corollarium de tempore ; éd. cit., p. 774).
  3. Simplicius, loc. cit. ; éd. cit., pp. 629-639.