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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


indiqué une autre qui se tient beaucoup plus près des idées d’Aristote et de Thémistius.

Selon celle que nous venons d’indiquer, le lieu est un corps dénué de matière, répandu dans toute l’étendue de la sphère du Monde, qui se laisse compénétrer par tous les corps sensibles, et au sein duquel les corps sensibles se meuvent sans en troubler l’immobilité : « Si le lieu était pourvu de matière, dit Proclus[1], il ne pourrait être continu ; tout corps matériel, en effet, au sein duquel se meuvent d’autres corps matériels, subit une division de la part de ces corps ; c’est ce qui a lieu lorsque notre corps se plonge dans l’eau. » En cette doctrine donc, comme en celle de Syrianus, le lieu et le corps se compénètrent.

Selon la seconde doctrine de Proclus, il semble que le lieu d’un corps soit, comme en la Physique d’Aristote, ce qui enveloppe ce corps. Nous avons dit à quelle difficulté se heurtait cette théorie. Pour trouver aux divers corps mobiles un lieu définitif qui fût immobile, elle était amenée à chercher, aux limites du Monde, une enceinte en repos ; cette enceinte fixe, elle ne la trouvait pas, puisque au gré d’Aristote, la sphère suprême se meut de la rotation diurne ; de là, l’embarras qui se remarque dans la théorie d’Aristote et, plus encore, dans colle de Thémistius.

Cet embarras prendrait fin si, par delà les orbes célestes mobiles, il existait un dernier orbe immobile ; cet orbe fournirait alors, à tous les corps de l’Univers, l’enceinte fixe qui leur doit servir de lieu ; la pensée péripatéticienne parviendrait sans illogisme à son achèvement.

Or, selon Simplicius[2], certaines Cosmologies croyaient à l’existence de cette sphère ultime et immobile : « Par delà ce Monde, la Théologie assyrienne place un autre corps plus divin que les autres, le ciel éthéré (τὸ αἰθέριον) ; c’est également ce corps qu’Orphée concevait lorsqu’il disait : « Entourez toutes choses de l’éther indéfinissable, et que le ciel on occupe le milieu. »

Les progrès de l’Astronomie semblent, d’ailleurs, propres, de l’avis de Simplicius, à rendre vraisemblable l’existence d’une telle sphère. En découvrant le phénomène de la précession des équinoxes, Hipparque a montré que la sphère des étoiles était mue de deux rotations ; les astronomes ont alors été amenés à concevoir, par delà l’orbe des étoiles, un autre orbe dénué d’astre ; à celui-ci, ils ont attribué le mouvement diurne, tandis qu’à celui-là, ils gardaient seulement une lente précession d’occident

  1. Simplicius, loc. cit., p 612.
  2. Simplicius, loc. cit., p. 643.