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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE

ce sujet procèdent en grande partie des opinions que celui-là avait émises.

Ce que Proclus disait du lieu, Simplicius nous le fait connaître[1] par une citation textuelle de l’auteur néo-platonicien.

« Le lieu, dit Proclus, est un corps immobile, continu, exempt de matière. — Ἔστιν ἄρα ὁ τόπος… σῶμα ἀϰίνητον, ἀδιαίρετον, ἄϋλον. »

Qu’entend Proclus en disant que le lieu est un corps exempt de matière ? La suite de son discours va nous l’apprendre : « C’est un corps beaucoup moins matériel que tous les autres, beaucoup moins que la matière dont sont formés les corps qui se meuvent. Or, parmi les corps qui se meuvent, la lumière est le plus simple, car le feu est le moins corporel des éléments, et la lumière est émise par le feu ; la lumière est donc le plus pur de tous les corps ; partant, c’est elle qui est le lieu.

» Il nous faut, dès lors, imaginer deux sphères ; l’une est formée uniquement de lumière, l’autre d’une foule de corps divers ; ces deux sphères ont exactement même volume ; nous fixerons la première de telle sorte qu’elle ne tourne pas autour de son centre ; nous ferons coïncider la seconde avec la première, mais, en même temps, nous lui communiquerons un mouvement de rotation ; nous verrons alors le Monde entier se mouvoir au sein de la lumière, qui demeurera immobile ; quant à l’Univers, il demeure immobile dans son ensemble, ce en quoi il ressemble au lieu, mais chacune de ses parties se meut, ce en quoi il diffère du lieu ».

La doctrine de Proclus diffère, en réalité, bien moins qu’il ne paraît de la théorie selon laquelle le lieu est identique à l’espace. Ceux qui — tel Jean Philopon — soutiennent cette dernière théorie proclament, assurément, que le lieu considéré par eux est absolument incorporel, qu’il n’existe pas par soi, que l’abstraction seule le distingue du corps logé ; mais ensuite, ils déclarent que le lieu est immobile, c’est-à-dire qu’en un lieu toujours le même se succèdent des corps différents ; il est donc clair qu’ils regardent le lieu comme une chose qui peut subsister sans qu’il y ait permanence du corps logé ; partant, il est sûr qu’en dépit de leurs dénégations, ils font du lieu une certaine substance dont l’existence, indépendante de celle des corps, lui est seulement simultanée ; sans qu’ils le veuillent, le lieu qu’ils considèrent se

  1. Simplicii In Aristotelis physicorum libros quattuor priores comnentaria. Lib. IV, corollarium de loco ; éd. cit., p. 612.