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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


étendue est divisible en même temps que l’air et que les autres corps [qu’elle compénètre], mais elle ne pratique, dans ces corps, aucune coupure et n’en éprouve aucune de leur part ; fixe, rigide, immobile, exempte de tout changement, elle est établie dans le monde entier ; à chacun des êtres qui remplissent le monde des apparences [sensibles], elle confère un domaine (χώρα), un réceptacle, une borne, un contour et toute chose semblable. Ces philosophes, d’ailleurs, déclarent ouvertement que cette étendue (διάστημα), que ce lieu (τόπος) n’est point un simple corps mathématique ; il ressemble, toutefois, au corps mathématique en ce qu’il est immatériel, immobile, impalpable, dénué de toute résistance et absolument pur de toute qualité passive…

» Mais pourquoi avons-nous agité tout ce discours ? Pour montrer qu’au gré de ces philosophes, au gré de tous ceux qui attribuent aux corps simples et immatériels le pouvoir de se compénétrer les uns les autres sans se diviser, il n’est pas impossible que deux corps solides coexistent ; ils déclarent seulement que l’occupation simultanée d’un même lieu par deux corps solides matériels et résistants est absolument impossible ; les corps immatériels sont semblables à des lumières qui émanent de différentes lampes et qui se répandent dans toute l’étendue d’une même salle ; ces lumières éclairent en se traversant les unes les autres sans se confondre ni se diviser ; peut-être voudra-t-on prétendre que ces lumières ne sont pas corporelles : du moins sont-elles coétendues aux corps et, comme eux, disposées suivant les trois dimensions ; si rien ne les empêche d’occuper, les unes et les autres, un même lieu et d’occuper le même lieu que les corps, c’est seulement parce qu’elles sont simples, immatérielles, qu’elles peuvent être divisées sans se résoudre en parties séparées, que chacune d’elles demeure toujours en continuité avec sa source, qu’elle est reliée à cette source, en sorte qu’elle est présente lorsque cette source luit et qu’elle disparaît lorsque la source est enlevée. Rien non plus n’empêche que les corps simples, ceux qui sont reliés aux âmes, ne fassent de même. »

C’est Syrianus lui-même qui nous invite, en ce passage, à comparer sa théorie du lieu à la théorie stoïcienne de la compénétration mutuelle des corps ; il insiste, il est vrai, sur la différence qu’il prétend établir entre ces deux théories ; selon lui, pour que deux corps puissent, en même temps, occuper le même lieu, il faut et il suffit que l’un au moins d’entre eux soit immatériel ; au contraire, dit-il, les Stoïciens admettent la compénétration mutuelle de deux corps matériels. Cette allégation n’est point entièrement exacte ;