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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

Les préférences du Philosophe néoplatonicien semblent aller à une doctrine intermédiaire entre celle-là et celle des Stoïciens. « Ceux qui mélangent les seules qualités, qui juxtaposent la matière de chacun des deux corps à la matière de l’autre et qui, au sein de ces matières juxtaposées, répandent uniformément les qualités provenant de part et d’autre, pourraient, avec vraisemblance, argumenter contre la mixtion totale. — Οἱ μὲν οὖν τὰς ποιότητας μόνας ϰιρνάντες, τὴν δὲ ὕλην παρατιθέντες ἑϰατέρου τοῦ σώματος ϰαὶ ἐπ’ αὐτῶν ἐπάγοντες τὰς παρ’ ἐϰατέρας ποιότητας, πιθανοὶ ἂν εἶεν τῷ διαϐάλλειν τὴν δι’ ὅλων ϰρᾶσιν ».

Simple juxtaposition des matières, mélange total des qualités, c’est une supposition assez singulière et contre laquelle semblent s’unir les objections auxquelles se heurtent chacun des deux systèmes qu’elle prétend concilier. De cette opinion de Plotin, d’ailleurs, Syrianus ne fera même pas mention.

Aristote examine, au XIIe livre de la Métaphysique, la nature des figures et des corps qui servent d’objets aux études du géomètre ; il discute, en particulier, l’opinion de ceux qui en font des êtres réels, coétendus aux corps sensibles : cette discussion l’amène à formuler la proposition que voici[1] : « Il est impossible que deux solides coexistent en un même espace. Δύο ἅμα στερεὰ εἶναι ἀδύνατον ».

C’est contre cette proposition que Syrianus s’élève : « Puisque vous nous ramenez, dit-il[2], à des questions qui ont déjà été examinées au second livre, à ce qui a été dit en cet endroit[3], nous ajouterons que tout le monde ne regarde pas comme impossible la coexistence de deux solides. Peut-être, pour appuyer cette affirmation, ne tiendra-t-on aucun compte des Stoïciens, qui ne rejettent point la supposition selon laquelle les corps grossiers et matériels eux-mêmes se compénètrent les uns les autres ; peut-être songera-t-on plutôt à ceux qui supposent que l’étendue (τὸ διάστημα) compénètre le Monde entier, qu’elle admet, en elle-même la nature corporelle tout entière ; [selon ces philosophes], cette

  1. Aristote, Métaphysique, livre XII, ch. II (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 611 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1076, col. b).
  2. Syriani Antiquissimi interpretis in II, XII et XIII Aristotelis libros Metaphysices Commentarius, a Hieronymo Bagolino, prœstantissimo philosopho, latinate donatus In Academia Veneta, MDLVIII. (In Aristotelis lib. XII, cap. II) fol. 44, recto et verso ; fol. 45, recto. —Scholia in Aristotelem. Supplementum, p. 880, col. b ; p. 881, coll. a et b (Aristotelis Opera. Edidit Academia Regia Borussica. Vol. V. Aristotelis qui ferebantur librorum fragmenta. Scholiarum in Aristotelem supplementum. Index Aristotelicus. Berolini, 1870). — Syriani in Metaphysicam commentaire. Edidit Guilelmus Kroll. Berolini, MCMII ; pp. 84-86.
  3. Syriani Commentarius ; ; éd. 1558, fol. 21, verso ; éd. 1870, p. 852, col. a ; éd. 1902, p. 28.