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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


nes propres aux divers corps. Cette sorte de réseau est-il mobile ou immobile ? Syrianus ne répond pas à cette question. Il se contente de nous dire que l’état de repos ou de mouvement de l’étendue ne dépend d’aucune manière de la nature des corps qui en occupent les diverses parties.

Actuellement, en effet, les corps ne sont pas tous en leurs domaines propres ; beaucoup d’entre eux en sont écartés, soit qu’ils se meuvent, soit qu’une violence extérieure les maintienne en repos dans un domaine qui n’est pas le leur. De ces corps-là, on dit qu’ils sont en un lieu (ἐν τόπῳ). Syrianus, au cours du fragment que Simplicius a conservé, n’explique pas cette courte affirmation. Ne veut-elle pas dire ceci : Désigner le lieu qu’occupe un corps, c’est dire quelle position il possède par rapport à ce réseau de domaines propres qu’est l’étendue différenciée ? Ce réseau n’est-il pas le terme auquel on rapporte le mouvement des corps ?

Peut-être hésiterions-nous à proposer cette interprétation de la pensée de Syrianus si nous ne savions qu’elle est conforme à la théorie proposée par un des successeurs de ce philosophe, par Damascius.

Nous ne possédons pas le commentaire que Syrianus avait composé sur les Lois de Platon ; à ce commentaire appartenait le passage que nous venons d’étudier ; mais nous possédons, du même auteur, un commentaire sur plusieurs livres de la Métaphysique d’Aristote, et dans ce commentaire, se rencontre une page qui complète heureusement celle dont nous devons la connaissance à Simplicius.

Cette page, pour établir la théorie du lieu, fait appel à des idées fort semblables à celles que les Stoïciens avaient mis en cours touchant le mélange des corps.

De bonne heure, le problème de la mixtion totale avait sollicité l’attention des Néoplatoniciens ; déjà Plotin[1] s’en était préoccupé, sans parvenir, d’ailleurs, à fixer sa conviction pour ou contre le système des Stoïciens.

Plotin rejetait formellement l’opinion de ceux qui ne voient, dans le mélange, qu’une juxtaposition (παραθέσις) des corps mêlés, « car le mélange doit produire un tout homogène, et chacune des parties, si petite soit-elle, doit être composée des deux corps que l’on dit mélangés. — Εἴπερ δεῖ τὴν ϰρᾶσιν ὁμοιομερὲς τὸ πᾶν ποιεῖν, ϰαὶ ἕϰαστον μέρος τὸ σμιϰρότατον ἐϰ τῶν ϰεϰρᾶσθαι λεγομένων εἶναι ».

  1. Plotini Enneadis IIœ lib. VII, cap. I. Éd. Firmin Didot, p. 89.