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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


par Syrianus ; voici, en effet, ce que nous lisons aux commentaires de Simplicius sur la Physique d’Aristote[1] :

« Parmi ceux qui attribuent au lieu une forme (εἶδος) et une puissance dominant les corps, il faut, à mon avis, ranger le grand Syrianus, qui fut le maître de Proclus le Lycien ; voici, en effet, ce qu’il a écrit au sujet du lieu dans ses commentaires sur le dixième livre des Lois de Platon : L’étendue (διάστημα) « est découpée en sections et subdivisions particulières, par l’effet des raisons diverses de l’Âme et des formes diverses du Démiurge, [raisons et formes auxquelles elle participe] par illumination ; ces diverses subdivisions sont appropriées à tel ou tel corps ; l’étendue confère elle-même, à certaines de ses parties, des qualités telles qu’elles deviennent la région propre (χώρα οἰϰεία) du feu, celle vers laquelle, comme il est dit au Timée, le feu se porte naturellement ; d’autres parties, elle fait la propre région de la terre, celle vers laquelle la terre se porte naturellement, celle au sein de laquelle elle demeure en repos, lorsqu’elle y réside. Voilà pourquoi, de chacun des corps qui se meuvent présentement ou qui demeurent en repos contre nature[2], nous disons qu’il admet un lieu (τόπος) ; mais ni le mouvement ni le repos de l’étendue (διάστημα) ne dépend de la nature des corps ; ni l’un ni l’autre n’est produit par cette nature. »

Arrêtons-nous un instant à ce passage de Syrianus ; nous y trouvons, en effet, le premier énoncé d’une théorie que les diverses écoles néo-platoniciennes développeront à l’envi. Le début de ce passage est fort clair ; la fin, trop concise, est plus ambiguë ; nous n’en pourrons proposer qu’une interprétation problématique.

Il nous faut, tout d’abord, concevoir une étendue (διάστημα) qui, par elle-même, serait homogène et indifférenciée ; du Démiurge et de l’Âme du Monde, cette étendue va recevoir l’hétérogénéité et la différenciation. Le Démiurge, en effet, contient en lui-même une multitude de formes (εἰδεα) : l’Âme renferme une foule de raisons (λόγοι) ; en illuminant l’étendue, le Démiurge et l’Âme y engendrent une multiplicité semblable à celle qui réside en eux-mêmes ; ils la divisent en parties et, à ces diverses parties, ils confèrent des propriétés distinctes ; chacune de ces parties devient, par là, le domaine propre (χώρα οἰϰεία) de tel corps.

L’étendue est ainsi devenue i’assemblage différencié des domai-

  1. Simplicii In Aristotelis physicorum libros quattuor priores commentaria ; Lib. IV, corollarium de loco ; éd. cit., pp. 618-619.
  2. Le texte dit : ϰατὰ φύσιν ; mais il faut lire, croyons-nous : παρὰ φύσιν.