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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE

D’ailleurs, ajoute-t-il, « si l’eau que le vase vient toucher est chaude, elle est tout de même attirée pur lui. » Le phénomène n’a donc pas pour cause, comme le voulait Alexandre, le refroidissement de l’air par l’eau.

Thémistius ne donne aucune raison qui, mieux que les explications de son prédécesseur, rende compte des effets dont ils disputent.

Simplicius, lorsqu’il commente le passage d’Aristote qui a donné lieu à cette querelle entre Alexandre et Thémistius, ne cite ni l’un ni l’autre de ces deux auteurs ; mais nous reconnaissons aisément qu’il admet, en grande partie, l’enseignement d’Alexandre et qu’il ne tient aucun compte des critiques de Thémistius.

« L’eau, écrit-il[1], est attirée par violence à la place de l’air, lorsque, comme le dit Aristote, une est la surface de l’air qui attire et de l’eau qui est attirée. Considérons, par exemple, les siphons et les ventouses médicinales à l’aide desquels on tire l’eau ou le sang. L’air qui attire et le liquide qui est attiré sont deux corps contigus dont chacun est borné par sa surface propre. Tant que les surfaces de ces deux corps demeurent distinctes et qu’elles sont seulement en contact l’une avec l’autre, chacun de ces deux corps demeure à sa place. Mais si ces deux surfaces viennent à se confondre en une, parce qu’un corps gazeux (πνεῦμα) ou l’échauffement les met en continuité l’une avec l’autre et en fait, en quelque sorte, le mélange, alors l’un de ces deux corps est tiré par l’autre comme s’il en était devenu une partie, pourvu que le mouvement de l’air vers le haut soit plus puissant que ne l’est le poids propre qui entraîne l’eau vers le bas ; plutôt que de délier et de séparer l’union des surfaces, l’eau se laisse tirer vers le haut comme si elle était attachée à l’air.

» Aristote résout ensuite l’objection que voici : Pourquoi donc la terre n’est-elle pas, comme l’eau, attirée vers le haut ? C’est, dit-il, parce que la surface de la terre n’est pas une. Il n’existe pas, en effet, une surface unique qui rassemble le corps de la terre en une masse cohérente, comme il arrive pour l’air et pour l’eau ; aussi la surface de la terre n’a-t-elle pas, avec les surfaces des autres corps, une communauté de nature telle que la terre soit entraînée avec ces corps. La terre s’émiette ; les surfaces de ses grains ne s’unissent pas les unes aux autres, à cause de la sécheresse de la terre : elles ne s’unissent pas davantage aux sur-

  1. Simplicii In Aristotelis libros de Cœlo commentaria. lib. IV, cap. V ; éd. Karsten, p. 319, col. b, et p. 320, col. a ; éd. Heiberg, pp. 723-724.