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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

» Mais la terre ne pourrait, de même, être soulevée pour occuper la place de l’eau, car il ne se peut faire que l’eau et la terre soient tirées ensemble par suite de l’existence d’une surface terminale commune.

» C’est pour cette même cause, c’est parce que l’air et l’eau sont tirées en même temps grâce à cette surface par laquelle l’eau est liée à l’air,… que l’eau est attirée dans le vase que l’on échauffe. L’air, en effet, est mû par la chaleur de ce vase et, à la partie supérieure, se transforme en feu ; il attire l’eau à laquelle il est attaché et, à son tour, il est attiré par cette eau. »

Alexandre d’Aphrodisias avait sans doute lu le traité de Philon de Byzance, mais il l’avait mal lu. Philon disait que l’eau monte dans l’œuf échauffé lorsqu’on vient à refroidir cet œuf ; Alexandre veut que l’ascension de l’eau soit causée par l’échauffement même du vase. Cette confusion et les explications embarrassées qu’elle suggère à l’auteur ont contribué, par la suite, à mettre beaucoup de trouble dans la théorie de la ventouse et des appareils analogues.

Thémistius, d’ailleurs, objecte[1] à Alexandre que sa théorie est contraire à ce que nous enseigne l’expérience sensible. Qu’on atténue ou raréfie par la chaleur l’air contenu dans une ventouse, « qu’on ferme l’orifice du vase, qu’on le pose sur l’eau et qu’on enlève alors le couvercle qui clôt cet orifice ; aussitôt que l’orifice du vase touche la surface de l’eau, on voit l’eau monter dans la capacité du vase ». On ne comprend pas comment la théorie d’Alexandre peut rendre compte de cette observation.

« Alexandre dit, il est vrai[2], que si l’air est rendu moins dense et s’il est dilaté dans un plus grand volume, remplissant ainsi tout l’espace vide que contient le vase, puis s’il se contracte ensuite parce que le froid de l’eau, au moment où il la touche, le condense, il attire aussitôt l’eau qui lui est contiguë et à laquelle il cède la place ».

À cette explication, Thémistius fait des objections qui le montrent aussi mauvais physicien qu’Alexandre. Ne va-t-il pas jusqu’à contester que l’air puisse se condenser ou se dilater ? « Comment pourrait-il se faire, écrit-il, qu’un corps continu occupât un volume tantôt plus grand et tantôt moins grand, à moins qu’il n’y eût du vide répandu et diffusé dans l’intérieur des corps ? Un corps, en effet, ne peut pénétrer un autre corps. »

  1. Thémistius, loc. cit. ; éd. 1574, fol. 65, recto ; éd. 1902, p. 242.
  2. Thémistius, loc. cit. ; éd. 1574, fol. 65, recto ; éd. 1902, p. 243.