Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
325
LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


l’affirmation que l’air est un corps est formulée et justifiée par l’expérience à laquelle Aristote avait fait allusion.

À cette expérience, on en peut joindre une seconde. Qu’à l’orifice supérieur de la clepsydre, on applique fortement le pouce, et qu’on sorte l’appareil de l’eau ; l’eau qu’il contient ne s’écoulera pas. Ce n’est plus une expérience propre à montrer la nature corporelle de l’air ; on l’invoquera pour établir que la nature ne souffre aucun vide, ce qui n’était pas l’intention d’Aristote.

Ces deux expériences, qu’on peut faire successivement avec la pipette des laboratoires de Chimie, Simplicius les décrit l’une et l’autre en commentant l’allusion du Stagirite aux clepsydres. Il invoque[1] « ceux qui montrent les clepsydres, c’est-à-dire les preneuses (ἅρπαξ ) qui n’admettent point l’eau tant qu’elles contiennent de l’air ; lorsqu’on aspire cet air, elles prennent et soulèvent (εὐθέως ἁρπάζουσι) l’eau ; elles ne la laissent point écouler, à moins qu’on enlève le doigt qui bouche l’ouverture supérieure, afin de permettre à l’air d’entrer en proportion de l’eau qui s’écoule. »

Aristote avait fait allusion à une expérience, exécutée au moyen de la clepsydre, et destinée à prouver que l’air est un corps. Sous l’influence de Simplicius, une confusion va s’établir ; on croira qu’il faisait allusion à une démonstration expérimentale de l’impossibilité du vide. Mais Simplicius ne sera que contre son gré cause de cette transformation de la pensée du Philosophe ; l’expérience qu’il a rapportée, il ne l’a pas donnée comme preuve de la non-existence du vide.

Ce qu’Aristote ni Simplicius ne prétendait faire, Philon de Byzance se proposait formellement de l’accomplir. Il entendait prouver par de multiples expériences que la nature ne permet à aucun espace vide de se produire. Il nous faut rapporter ici les plus importantes de ces expériences.

« La nature du feu, dit Philon[2] se mélange aussi avec l’air, et c’est pourquoi il est attiré avec lui. La preuve en sera dans ce que nous allons rapporter.

» Il faut prendre un œuf de plomb, de grosseur moyenne, creux, mais pas trop mince, afin qu’il se brise pas quand on le manie rapidement. Cet œuf doit être étanche, pour l’usage qu’on en veut faire. Puis on le perce ; dans le trou, on introduit un siphon dont l’extrémité pénètre dans l’œuf au point d’arriver près de sa paroi

  1. Simplicii In Aristotelis physicorum libros quattuor priores commentaria. Edidit Hermannus Diels. In physicorum IV, 6 ; p. 647.
  2. Philon de Byzance, Le livre des appareils pneumatiques, trad. Carra de Vaux, pp. 126-128.