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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


subsister sans corps et que l’ensemble des corps forme une masse finie ?

Le Grammairien s’étonne que l’on puisse attribuer la moindre importance à cette objection. De même que l’intelligence conçoit l’espace à trois dimensions, de même peut-elle, selon lui, concevoir une surface abstraite qui borne cet espace de telle sorte qu’il ait juste la grandeur voulue pour contenir l’Univers corporel.

Jean Philopon s’écarte nettement ici du sentiment commun des Stoïciens ; depuis Zénon et Chrysippe, ceux-ci n’avaient cessé de soutenir qu’un vide infini s’étend au delà des bornes de l’Univers ; le Grammairien, au contraire, enseigne qu’au dehors de la surface sphérique qui limite le Monde, il n’y a plus qu’un espace conçu par la raison, mais dépourvu de réalité, auquel il se refuse à donner le nom de vide. Par là, il délaisse l’enseignement du Portique pour se rapprocher de la tradition péripatéticienne.

Une autre difficulté préoccupe les Péripatéticiens. À chaque clément, à chaque mixte doit correspondre un lieu naturel, où ce corps demeure en repos lorsqu’il s’y trouve, vers lequel il se porte s’il en est éloigné ; c’est ainsi que les graves se dirigent vers le bas, que les corps légers tendent en haut. « Mais comment, dans cet espace doué seulement de trois dimensions[1], pourra-t-on déterminer, distinguer et placer le haut et le bas ? Où placera-t-on le lieu suprême ? Jusqu’où l’étendra-t-on ? Où mettra-t-on le lieu le plus bas ? En outre, le lieu doit être doué d’une certaine puissance naturelle, car les corps graves et les corps légers désirent leurs lieux propres ; chacun d’eux se porte vers le lieu qui lui est particulier par une inclination et par un élan naturels ; or, cet espace, qui est vide par lui-même, ne peut avoir aucune puissance ; pour quelle raison certains corps se porteraient-ils vers une certaine région de ce vide et certains autres corps vers une autre région ? »

À ces objections, Philipon oppose[2] des définitions et des principes qui sont, il le remarque lui-même, très conformes à la pensée d’Aristote :

« À parler d’une manière absolue, il n’y aurait naturellement dans l’Univers, comme Aristote le dit lui-même en d’autres écrits, ni haut ni bas, mais il y a la surface sphérique [concave de l’orbe de la Lune] et la périphérie. Mais si nous appelons haut la périphérie et bas le centre, le haut sera le lieu occupé par les corps

  1. Jean Philopon, loc. cit. ; éd, cit., pp. 579-580.
  2. Jean Philopon, loc. cit. ; éd, cit., pp. 581.