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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


d’Aristote ; il n’a pas vu comment, cette pensée refusait à tout corps, hors du Monde, non seulement l’existence en acte, mais encore l’existence en puissance, et cela fort logiquement, puisque l’existence en puissance, ce serait la matière, la ὕλη, et que le Monde est formé de la totalité de la matière.

Rien ne peut terminer ce vide extérieur au Monde[1] ; il ne pourrait, en effet, être terminé que par quelque chose d’une nature différente, partant par quelque chose de plein ; il faudrait donc, ce qui est absurde, qu’il existât hors du Monde un corps remplissant ce quelque chose.

Dans ce vide infini, d’ailleurs, il n’y a[2] ni haut ni bas, ni avant ni arrière, ni droite ni gauche ; aucune direction n’y peut être définie ; c’est seulement à l’intérieur du Monde que l’on peut distinguer la direction qui vise le centre de la figure sphérique de l’Univers de la direction qui est issue de ce même centre.

Cette absence de toute direction qui se puisse distinguer d’une autre direction au sein du vide qui entoure le Monde nous assure[3] que l’Univers ne saurait se mouvoir de manière à changer de place au sein de cet espace ; il y garde toujours le même lieu.

Telles sont les doctrines, vraisemblablement empruntées à Posidonius, que Cléomède professait au sujet du vide ; elles semblent bien n’être que le développement des enseignements de Chrysippe,


XII
LE LIEU ET LE VIDE SELON JEAN PHILOPON

Les doctrines dont les formules de Chrysippe nous ont présenté l’ébauche, dont Cléomède nous a donné une exposition plus complète. nous allons les retrouver, mais développées suivant toute leur ampleur, et, parfois, modifiées par l’influence péripatéticienne, sous la plume d’un stoïcien chrétien ; nous voulons parler de Jean d’Alexandrie, que Simplicius, son adversaire acharné, appelle toujours le Grammairien (ὁ Γραμματιϰός), mais que l’on nomme plus communément Philopon (ὁ Φιλόπονος), c’est-à-dire le laborieux.

On s’est longtemps trompé sur l’époque où avait vécu Philo-

  1. Cléomède, ibid., pp. 14-15.
  2. Cléomède, ibid., pp. 16-17.
  3. Cléomède, ibid., pp. 10-11.