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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


mots. Tout corps doit nécessairement être en quelque chose. La chose en laquelle il est doit différer de ce qui l’occupe et la remplit ; cette chose doit être incorporelle et comme impalpable. Cette substance qui est ainsi constituée qu’elle puisse recevoir un corps en elle-même et être occupée par lui, nous disons qu’elle est vide… »

D’ailleurs, cette substance du vide, cette ὑπόστασις ϰενοῦ ne possède aucun caractère déterminable autre que celui qui vient d’être dit ; elle est seulement apte à contenir les corps. « Il est nécessaire, dit Cléomède[1], qu’il existe une substance du vide. La notion que nous en avons est d’une extrême simplicité ; elle est incorporelle et impalpable ; elle n’a et elle ne peut recevoir aucune figure (σχῆμα) ; elle est incapable de pâtir aussi bien que d’agir ; elle est simplement telle qu’elle puisse admettre un corps en elle-même ».

« Un tel vide[2] ne peut aucunement exister d’une manière persistante dans le Monde. » Aussitôt qu’un corps quitte le lieu qu’il occupait, un autre corps vient occuper ce même lieu. Mais le vide existe hors du Monde ; à établir cette proposition, contraire à la philosophie d’Aristote, Cléomède consacre tous ses efforts.

Pour démontrer que le Monde est entouré d’un espace vide, il admet[3], ce que le Stagirite ne lui eût nullement accordé, que la matière de l’Univers est susceptible de se dilater ou de se contracter. Alors, en effet, ce qui est hors du Monde ne renferme aucun corps, mais est apte à en renfermer, en sorte que cela mérite le nom de vide. Au gré d’Aristote, au contraire, il n’existait, d’une manière actuelle, aucun corps hors du Monde, mais il ne pouvait, non plus, en exister aucun ; hors du Monde donc, on ne pouvait pas dire qu’il y eût le vide, puisque le vide serait un lieu privé de corps, mais susceptible d’en recevoir un.

Cette opinion des Péripatéticiens, Cléomède la tourne en ridicule[4] : « Aristote et ses sectateurs prétendent qu’hors du Monde, il n’y a pas de vide. Ils disent, en effet, que le vide est ce qui peut recevoir un corps ; or au delà du Monde, il n’y a aucun corps ; il ne peut donc y avoir de vide. Mais ce raisonnement est absurde ; il est tout à fait semblable à celui que l’on ferait en disant qu’en des lieux arides et secs, il ne peut pas y avoir d’eau, et donc qu’il ne peut pas non plus exister de vase capable de contenir de l’eau. » Notre stoïcien, assurément, n’a pas pleinement saisi la pensée

  1. Cléomède, ibid., pp. 8-9.
  2. Cléomède, ibid., pp. 8-9.
  3. Cléomède, ibid., pp. 6-7.
  4. Cléomède, ibid., pp. 10-11.