Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/317

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
309
LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


Ils disent que le vide, c’est l’absence de corps ; que le lieu, ce qui se trouve occupé par un corps ; enfin que l’étendue, c’est ce qui est occupé en partie. Διαφέρειν δὲ ϰενὸν, τόπον, χώραν · ϰαὶ τὸ μὲν ϰενὸν εἶναι ἐρημίαν σώματος, τὸν δὲ τόπον τὸ ἐπεχόμενον ὑπὸ σώματος, τὴν δὲ χώραν τὸ ἐϰ μέρους ἐπεϰόμενον. »

Aëtius, pour préciser par un exemple la définition de la χώρα, ajoute[1] : « Comme il arrive en un tonneau de vin, ὥσπερ ἐπὶ τῆς τοῦ οἴνου πιθάϰνης ».

Zénon veut donc que l’on donne le nom de χώρα à une étendue dont certaines régions sont vides tandis que d’autres sont occupées par des corps ; ainsi en est-il, selon Démocrite et Épicure, de l’espace qui contient des atomes séparés par du vide ; ainsi en est-il encore de la χώρα considérée au Timée, car les icosaèdres, les octaèdres et les cubes qui forment l’eau, l’air et le feu, ne sauraient remplir l’espace sans laisser entr’eux des intervalles vides.

Chrysippe, au rapport de Stobée[2], reproduisait, bien qu’avec plus de détails, l’enseignement de Zénon.

« Chrysippe professait que le lieu, c’est ce qui, en sa totalité, est occupé (ϰατεχόμενον) par un être ou ce qui est susceptible d’être occupé par un être, et qui, en sa totalité, se trouve occupé soit par une seule chose, soit par plusieurs choses. De ce qui est ainsi susceptible d’être occupé par un être, si une partie se trouve occupée [par une chose existante] tandis qu’une autre partie ne l’est pas, l’ensemble ne sera plus ni du vide ni un lieu, mais autre chose qui n’a pas reçu de nom. Le vide, en effet, est ainsi nommé par analogie avec les vases vides, et le lieu par analogie avec les vases pleins. » Le philosophe stoïcien, en ce passage, a, sans aucun doute, voulu éviter que l’on confondit le lieu, tel qu’il le concevait, avec le lieu vide en partie et, en partie, occupé par les atomes, que considéraient Démocrite et ses disciples ; il a voulu surtout, semble-t-il, que l’on n’allât pas, à l’imitation de Zénon, donner, à cette sorte d’espace, le nom de χώρα.

Chrysippe, en effet, poursuivait en ces termes : « Quant à l’étendue (χώρα), est-ce plutôt l’espace intermédiaire (τὸ μεῖζον) qui est susceptible d’être occupé par un être et qui est, cependant, vide de tout corps, ou bien est-ce le corps intermédiaire [considéré comme] cédant sa place (ἢ τὸ χωροῦν μεῖζον σῶμα) ?

» On dit que le vide est infini ; hors du Monde, en effet, il y a

  1. J. von Arnim, loc. cit.
  2. J. Stobée, loc. cit. ; éd. cit. pp. 107-108 ; J. von Arnim, Op. laud., no 103, vol. II, pp. 162-163.