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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE

» Que ces diverses sortes de mélanges existent, Chrysippe s’efforce de le démontrer à l’aide des notions communes ; il dit que ce qui confère surtout à ces notions le caractère de la vérité, c’est que nous les tirons de la nature ; autre, en effet est l’idée que nous possédons de corps juxtaposés sous forme de structure ; autre l’idée de corps qui se sont combinés entre eux par destruction simultanée ; autre l’idée de corps qui sont mélangés et coétendus les uns aux autres en leur totalité, de telle sorte que chacun d’eux conserve sa nature propre ; or cette diversité dans nos idées, nous ne la posséderions pas si tous les corps mélangés, quels qu’ils soient, étaient simplement juxtaposés les uns aux autres par structure.

» Quant à cette coextension des corps mélangés, il admet qu’elle se produit de telle manière qu’en chacun des corps mélangés qui se compénètrent l’un l’autre, il n’existe aucune partie qui ne participe de tous les corps existants dans un tel mélange ; car, s’il n’en était pas ainsi, le produit ne serait nullement un mixte, mais un aggrégat (Τὴν δὲ τοιαύτην ἀντιπαρέϰτασιν τῶν ϰιρναμένων ὑπολαμϐάνει γίνεσθαι χωρούντων δι’ ἀλληλων τῶν ϰιρναμένων σωμάτων, ὡς μηδὲν μόριον ἐν αὐτοῖς εἶναι μὴ μετέχον πάντων τῶν ἐν τῷ τοιούτῳ μίγματι · οὐϰέτι γὰρ ἄν, εἰ μὴ τοῦτο εἴη, ϰρᾶσιν ἀλλὰ παράθεσιν τὸ γινόμενον εἶναι)…

» Qu’il en soit bien ainsi, [les Stoïciens] en allèguent, à titre de preuve évidente, le fait suivant : L’âme possède une substance propre, aussi bien que le corps qui la reçoit ; elle se répand, cependant, dans tout le corps, tout en conservant, dans son mélange avec lui, sa propre existence substantielle ; en effet, du corps qui possède une âme, il n’est aucune partie qui soit privée de cette âme. La nature des plantes se comporte de la même manière : de même encore toute propriété à l’égard du sujet qui supporte cette propriété.

» Ils disent aussi que le feu et le fer se compénètrent l’un l’autre en totalité, chacun d’eux gardant cependant sa propre existence substantielle.

» Ils disent encore que deux des quatre éléments, le feu et l’air, qui sont subtils, légers et élastiques (εὐτόνα), se diffusent totalement dans toute l’étendue des deux autres, l’eau et la terre, qui sont compacts, lourds et dénués d’élasticité (ἀτόνα) ; et cependant, ces éléments-ci comme ceux-là gardent, [en cette diffusion], leur nature propre et leur continuité.

» Ils pensent également que les poisons mortels, que les odeurs de toutes sortes, se diffusent ainsi, par une compénétration totale, au sein de ceux qui en pâtissent.