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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE

« Un corps un n’est pas, en général[1], composé de corps séparés les uns des autres, comme l’est une assemblée, une armée ou un chœur ; car à tout corps, il peut arriver de vivre, de connaître, de raisonner, comme le suppose Chrysippe. »

Comment devons-nous donc imaginer la structure des corps ? Ils doivent être homogènes et, cependant formés, à la fois, de ὕλη et de πνεῦμα ; ces deux éléments, d’ailleurs, n’y doivent pas être simplement en puissance, comme les éléments sont dans un mixte selon la doctrine péripatéticienne ; en tout corps, la matière et le souffle doivent coexister d’une manière actuelle, comme le montre suffisamment la différence des rôles qui leur sont attribués ; il reste donc que nous renoncions à regarder chacun de ces deux corps comme impénétrable à l’autre ; que nous les considérions l’un et l’autre comme deux masses continues qui coexistent simultanément, d’une manière réelle, actuelle, dans un même lieu.

Que Chrysippe ait considéré les divers corps et, en particulier, la ὕλη et le πνεῦμα, comme susceptibles de se compénétrer, de la sorte, d’éprouver ce qu’il nomme la mixtion proprement dite (ϰρᾶσις), une foule de textes s’accordent à l’affirmer[2]. Ces textes, nous n’essayerons pas ici de les citer tous ; nous bornerons à analyser l’un d’entre eux, qui est d’une importance et d’une précision particulières.

Alexandre d’Aphrodisias a composé un opuscule intitulé : Sur le mélange et la dilatation (Περὶ ϰράσεως ϰαὶ αὔξησεως). Dans cet opuscule, il expose et discute en détail la doctrine que professait Chrysippe au sujet de la diffusion totale. Voici ce que nous lisons en cet écrit[3] :

« Parmi ceux qui regardent la matière comme continue, ce sont les Stoïciens qui semblent surtout discuter au sujet du mélange. Mais, même parmi eux, il y a des avis dissemblables ; les uns enseignent que les mélanges se font d’une certaine façon et les autres d’une autre ; toutefois, l’opinion qui paraît être, chez eux, la plus hautement approuvée et recommandée, c’est celle que Chrysippe a proposée. En effet, parmi ceux qui lui ont succédé dans le temps, la plupart abondent dans le sens de Chrysippe ; quelques-uns, qui sont parvenus à concevoir la théorie d’Aristote,

  1. Plutarchi De defectu oraculorum cap. XXIX ; J. von Arnim, Op. laud., no  367 ; vol. II, p. 124.
  2. J. von Arnim, Op. laud., nos 463 à 481 ; vol. II, pp. 151-158.
  3. Alexandri Aphrodisiensis Prœter commentaria scripta minora. Quœstiones. De fato. De mixtione. Edidit Ivo Bruns, Berolini, 1892. Pp. 216-218. J. von Arnim, Op. laud., nos 473, vol. II, pp. 154-155.