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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


autres, autour desquelles circule le πνεῦμα. Il nous suffirait alors de traduire πνεῦμα par éther, comme on a traduit ὕλη, par matière pour donner à l’hypothèse fondamentale des Stoïciens une forme très analogue à celle que diverses théories physiques modernes ont donnée à leur supposition première.

Sans pulvériser la ὕλη en molécules, nous pourrions la regarder comme veinée de pores et de canaux au long desquels circule le πνεῦμα. Straton, semble-t-il[1], avait déjà songé à conférer une telle structure à la matière et à en déduire l’explication des propriétés de l’aimant ; il avait agi, par là, en avant-coureur de Descartes.

En adoptant soit l’une, soit l’autre de ces deux théories, nous nous mettrions assurément en contradiction avec la pensée des Stoïciens.

Tout d’abord, Chrysippe se séparait entièrement de Démocrite en ce qu’il admettait, de la manière la plus formelle, la division des corps à l’infini. Au rapport de Jean Stobée[2], « Chrysippe disait que les corps se laissent subdiviser indéfiniment, et qu’il en est de même des choses qui ont ressemblance avec les corps, comme la surface, la ligne, le lieu, le vide, le temps. Mais, bien que toutes ces choses soient divisibles à l’infini, le corps n’est pas composé d’une infinité de corps, et on en peut dire autant de la surface, de la ligne, du lieu », du vide et du temps.

En outre, les corps qui nous semblent homogènes ne se montreraient nullement, à des yeux plus perçants que les nôtres, comme des assemblages hétérogènes où une matière perforée de pores serait baignée par le souffle qui circule en ces pores. Si l’on excepte les corps qui, visiblement, sont des aggrégats, des amas de parties distinctes, les autres corps sont vraiment et essentiellement homogènes : ils sont d’un seul tenant ; chacun d’eux est un individu qui a sa nature propre aussi bien qu’un individu vivant.

« Parmi les corps[3], les philosophes [c’est à-dire les Stoïciens] enseignent qu’il en est qui sont formés de parties séparées, à la manière d’une flotte ou d’une armée ; d’autres sont composés de parties contiguës, comme une maison ou un navire ; les autres, enfin, sont d’un seul tenant (ἡνωμένα) et doués d’une nature commune à toutes leurs parties (συμφυᾶ), comme l’est chaque animal. »

  1. G. Rodier, La Physique de Straton de Lampsaque, p. 59.
  2. Joannis Stobæi Eclogarum lib. I, cap. XIV ; éd. Meineke, p. 93. J. von Arnim, Op. laud., no 482 ; vol. II, p. 158.
  3. Plutarchi Prœcepta conjugalia, cap. XXXIV ; J. von Arnim, Op. laud., no 366, vol. II, p. 124.