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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


traité Sur les divers états des corps, Περὶ ἕξεων. Voici ce langage[1] :

« Les états des corps ne sont rien d’autre que des gaz (οὐδὲν ἄλλο τὰς ἕξεις πλὴν ἀέρας εἶναί φησιν). C’est par eux, en effet, que les corps ont de la cohésion (συνέχεται). Cet air qui contient est, pour les corps qui sont maintenus par lui en un certain état, la cause qui fait que chacun d’eux est doué de telles qualités (τοῦ ποιὸν ἕϰαστον εἶναι… αἴτιος ἀήρ ἐστιν), de ces qualités que l’on nomme rigidité dans le fer, densité dans la pierre, blancheur dans l’argent…

» La matière (ὕλη) est, par elle-même, inactive et sans mouvement ; elle est soumise aux activités. Quant aux activités, ce sont les essences spirituelles et les pressions gazeuses (τόνοι αἐρώδεις). C’est par elles que les diverses parties de la matière reçoivent des formes et sont affectées de figures. »

Les fluides aériformes, les souffles ont donc, à l’égard des éléments matériels, de la terre et de l’eau, deux sortes d’actions. L’une de ces actions est une pression, dirigée du dehors en dedans, qui maintient la cohésion de ces corps. L’autre est une tension, dirigée du dedans en dehors, qui explique les divers attributs, les diverses qualités par lesquels les différents corps matériels se distinguent les uns des autres. Que telle fût bien la pensée des Stoïciens, Némésius va nous le dire[2] :

« On pourrait prétendre, comme les Stoïciens, qu’il y a, autour des corps, un certain mouvement générateur de pression, mouvement qui est dirigé à la fois de l’extérieur à l’intérieur (εἰς τὸ εἴσω) et de l’intérieur vers l’extérieur (εἰς τὸ ἔξω). Le mouvement, dirigé de l’intérieur vers l’extérieur détermine les grandeurs et les qualités des corps. Quant à celui qui est dirigé de l’extérieur vers l’intérieur, il produit la cohésion (ἕνωσις) et la consistance subsistante (οὐσία), »

Une matière inactive et inerte ; un fluide gazeux, mobile, siège de pressions et de tensions qui doivent expliquer la cohésion, les dimensions, les diverses propriétés des corps, voilà les deux éléments avec lesquels les Stoïciens pensent construire toute leur Physique. Comment devons-nous imaginer la distribution, dans l’espace, de cette matière et de ce souffle ?

Nous pourrions penser que la ὕλη est, comme le veulent les atomistes, morcelée en parcelles indépendantes les unes des

  1. Plutarchi De Stoicorum repugnantia cap. XLIII ; J. von Arnim, Op. laud., no 449, vol. II, pp. 147-148.
  2. Nemesius, Περὶ ἄνθρωπου τὸ βʹ. Gregori Nysseni Philosophiœ libri otto, lib. I, cap. II. J. von Arnim, Op. laud., no 151, vol. II, pp. 148-149.