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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

« Prétendre, d’une manière quelconque, qu’une chose opère sur elle-même ou agit sur elle-même, c’est tenir un langage qui passe l’entendement ; de même, une chose ne saurait se contenir elle-même. Ceux qui se sont le plus occupés de la puissance qui contient (συνεϰτιϰὴ δύναμις), les Stoïciens par exemple, admettent qu’autre est ce qui contient, autre ce qui est contenu ; ce qui contient, c’est la substance spirituelle (οὐσία πνευματιϰή) ; ce qui est contenu, c’est la substance matérielle (οὐσία ὑλιϰή) ; aussi disent-ils que l’air et le feu contiennent, tandis que l’eau et la terre sont contenus. »

Partout, donc, nous trouverons deux principes qui s’opposeront, en quelque sorte, l’un à l’autre, un principe actif et un principe passif[1] ; le principe actif sera toujours un souffle, un πνεῦμα ; le principe passif sera une matière, une ὕλή. Là où le Platonisme, où le Péripatétisme mettaient des substances actives incorporelles, le Stoïcisme met des souffles corporels ; le Zeus de Chrysippe est un souffle ; l’âme de l’homme en est un autre.

Examinons d’une manière un peu plus détaillée la manière d’agir du πνεῦμα.

Ni la terre ni l’eau n’ont, par elles-mêmes, cette cohésion qui soude entre elles les diverses parties d’une même masse ; cette cohésion résulte d’une certaine pression (τόνος) exercée sur l’eau ou la terre par le πνεῦμα qui se mêle à ces deux éléments ; au contraire, les fluides spirituels, les souffles possèdent par eux-mêmes cette pression. Les Stoïciens « disent, écrit Plutarque[2], que ni la terre ni l’eau ne peuvent se contenir elles-mêmes non plus que contenir les autres corps ; elles ne conservent leur unité qu’en participant de l’essence spirituelle et par l’effet de la puissance qui appartient au feu. Ce sont l’air et le feu qui, par l’effet de leur élasticité (δι’ εὐτονίαν), maintiennent en leur état habituel ces deux premiers éléments et qui, en se mélangeant avec eux, leur fournissent la pression (τόνος), la stabilité (τὸ μόνιμον), la consistance substantielle (οὐσιῶδης) ».

Mais le mélange avec le souffle que composent l’air et le feu ne sert pas seulement à expliquer la cohésion de l’eau et de la terre ; c’est encore ce mélange qui explique ces diverses manières d’être que les Péripatéticiens appelaient qualités et attribuaient à des formes. C’est encore Plutarque qui va nous faire connaître le langage que Chrysippe tenait, à ce sujet, dans son

  1. Émile Bhéhier, Op. laud., pp. 116-121.
  2. Plutarchi De communibus notionibus cap. XLIX ; J. von Arnim, Op. laud., no 444, vol. II, p. 146.