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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE

à des régénérations successives de l’Univers entier. « Il ne faut pas, nous dit Aristote, que cette transformation partielle donne à penser que le Monde entier est périssable Voici ce qu’il nous faut dire à présent : Parce que la terre est, en partie, devenue plus sèche, il n’en résulte pas que le Monde doive être détruit, suivant ce qu’a dit Héraclite de l’embrasement final du Monde Il ne faut donc pas, à cause de sa désiccation partielle, affirmer la destruction de l’Univers ; mais il faut dire que le Grand Hiver en est la cause. Après cet Hiver, en effet, la terre ayant été inondée, un certain dessèchement se produit ensuite, jusqu’au moment où arrivera le Grand Été ; mais lorsqu’advient ce Grand Été, il ne détermine pas la destruction de toute La terre. »

Qu’elles soient donc indiennes ou chaldéennes, grecques ou latines, presque toutes les philosophies païennes de l’Antiquité semblent s’accorder en une même doctrine : Le Monde est éternel ; mais comme il n’est point immuable, il reprend périodiquement le même état ; le Ciel, formé de corps incorruptibles, repasse périodiquement par la même configuration ; le Monde des choses corruptibles éprouve alternativement des déluges et des combustions qui scandent sa marche rythmée, qui signalent le retour périodique de choses de même espèce.

Les Juifs eux-mêmes, peut-être sous l’influence des philosophies païennes, semblent en être venus à concevoir une Grande Année ; à la vérité, l’historien Flavius Josèphe parle seulement[1] d’une Grande Année de six cents ans, qui ne saurait être une période de rénovation du Monde ; mais nous trouvons de tout autres considérations dans le Commentaire au Timée de Chalcidius ; or ce commentateur, dont on fait souvent un chrétien, nous semble plutôt, comme nous le dirons, avoir été un juif platonicien, à la manière de Philon. Voici comment s’exprime Chalcidius[2] au sujet du passage où Platon définit la Grande Année :

« Ce que Platon nomme le Nombre parfait du temps, durant lequel s’accomplit l’Année parfaite, c’est le temps au bout duquel les sept planètes, aussi bien que les autres étoiles dites inerrantes, se présentent de nouveau dans leurs positions initiales ; elles sont alors disposées suivant le même dessin qu’à l’origine des choses et au début du Monde ; leurs intervalles, à la fin de ce temps,

  1. Flavius Josèphe, Antiquités hébraïques, l. I, ch. III (IV), art. 9.
  2. Chalcidii V. C. Commentarius in Tiœum Platonis, CXVII (Fragmenta philosophorum grœcorum collegit F. A. Mallachius, vol. II, pp. 208-209.