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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


(ὁ εἶς ἀριθμός), par laquelle tout mouvement, est mesuré, qui comprend en elle toutes les autres mesures, qui détermine l’animation (ἡ ζωή) totale du Monde, la révolution complète des corps célestes et la vie (ὁ βίος) entière en sa période achevée. Ce nombre, il ne faut point le considérer seulement selon une science d’ordre inférieur (δοξαστιϰῶς)[1], en accumulant myriades sur myriades ; certaines gens, en effet, ont coutume d’en parler de la sorte. » Proclus montre alors comme on détermine habituellement la durée de la Grande Année en calculant le plus petit multiple commun des huit périodes des révolutions célestes ; puis il poursuit en ces termes : « Ces gens donc tiennent de tels propos. Mais ce n’est pas seulement de cette façon qu’il faut considérer le temps entier qui est propre au Monde (ὁ ὅλος ἐγϰόσμιος χρόνος) ; il le faut considérer à l’aide de l’intuition (νόος) et de la méditation (διάνοια) ; il faut contempler suivant une science assurée (ἐπιστημονιϰῶς)[2] cette unité numérique, cette puissance une qui évolue, cette production une qui achève pleinement son œuvre, qui fait pénétrer en toutes choses la vie du Monde ; il faut voir toutes ces choses, conduisant cette vie jusqu’à son terme et la reprenant à partir du commencement ; il les faut voir se refermant chacune sur elle-même, et accomplissant, par là-même, le mouvement circulaire que ce nombre mesure ; de même, en effet, que l’unité borne l’infinitude du nombre et contient en elle-même l’indétermination de la dualité, de même le temps mesure le mouvement tout entier, et la fin de ce mouvement fait retour au commencement. C’est pourquoi ce temps-là est nommé Nombre, et Nombre parfait. Le mois et l’année aussi sont nombres, mais ils ne sont pas nombres parfaits, car ils sont parties d’autres nombres ; mais le temps de l’évolution périodique de l’Univers (ὁ τῆς τοῦ παντὸς περιόδου χρόνος) est parfait, car il n’est partie de rien ; il est entier, afin d’être à la ressemblance de l’éternité. C’est celle-ci, en effet, qui est, en premier lieu, l’intégrité : mais l’éternité confère aux êtres l’intégrité complète de ce qui demeure toujours semblable à soi-même, tandis que le temps leur communique une intégrité qui se manifeste par voie de développement (παρατάσις) ; l’évolution, en effet, c’est l’intégrité déroulée dans le temps de cette autre intégrité qui, dans l’éternité, demeure enroulée sur elle-même (ἀνέλιξις γὰρ ἐστιν ἡ ὁλότης ἡ ϰρονιϰὴ τῆς ἐν ἐϰείνῳ συνεσπειραμένως μενούσης ὁλότητος). Donc, ce

  1. Δόξα, c’est la science en laquelle nous raisonnons sur les apparences sensibles, sur les choses qui passent, qui n’ont pas la véritable existence.
  2. Ἐπιστήμη, c’est la science par laquelle nous saisissons non plus les apparences, mais les idées, les choses qui existent réellement d’une existence éternelle.