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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


qui pénètre jusqu’aux entrailles de la terre. Mais, bientôt, l’ardeur dévorante du fluide igné se trouve ralentie, et l’eau reprend insensiblement ses forces ; car la nature du feu, épuisée en grande partie, absorbe peu de particules humides. C’est ainsi qu’à son tour, l’élément aqueux, après une longue suite de siècles, acquiert un tel excédent qu’il est contraint d’inonder la terre ; et pendant cette crue des eaux, le feu se remet des pertes qu’il a éprouvées. Cette alternative de suprématie entre les deux éléments n’altère en rien le reste du Monde, mais détruit souvent l’espèce humaine, les arts et l’industrie, qui renaissent lorsque le calme est rétabli ; car la dévastation causée soit par les inondations, soit par les embrasements n’est jamais générale… Telle est l’alternative de destruction et de reproduction à laquelle est assujetti le genre humain, sans que la stabilité du Monde en souffre. »

Tout aussitôt après ces considérations sur les déluges et les embrasements périodiques, Macrobe reproduit et commente[1] ce que Cicéron avait dit de la Grande Année. « Cette restitution parfaite des aspects s’accomplit, disent les physiciens, en quinze mille ans… Cette Grande Année se nomme encore l’Année du Monde, parce que le Monde, à proprement parler, c’est le Ciel. »

Cette Année du Monde est-elle l’intervalle de temps qui sépare deux embrasements successifs, deux déluges successifs ? De ce que Macrobe, comme Cicéron, traite de celle-là aussitôt après ceux-ci, on pourrait le conjecturer ; mais pas plus que Cicéron, Macrobe ne l’affirme d’une manière formelle.

De siècle en siècle, nous voyons les Platoniciens latins se passer les uns aux autres cette double tradition des cataclysmes périodiques et de la Grande Année ; les Platoniciens grecs, d’ailleurs, ne l’avaient point oubliée.

Que tous les changements du monde sublunaire soient déterminés par les mouvements célestes ; que, par conséquent, le retour du Ciel au même état, au bout de la Grande Année, ramène exactement les mêmes effets dans la sphère de la génération et de la corruption, c’est, à n’en pas douter, la pensée d’Aristote ; c’est à l’aide de cette pensée que Plutarque commente ce qu’au Timée, Platon avait dit de la Grande Année :

« Dans cet espace de temps, dit-il[2], qui est déterminé et que notre intelligence conçoit, ce qui, au ciel et sur la terre, subsiste en vertu d’une nécessité primordiale, sera replacé dans le même

  1. Macrobii Op. laud., lib. II, Macrobe, cap. XI.
  2. Plutarque, De fato, III.