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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


ont appelé Grande Année celle où il arrive que le Soleil, la Lune et les cinq planètes, après avoir fini chacun leur cours, se retrouvent respectivement dans la même position. Quelle est la longueur de cette Année ? C’est là une grande question. Mais il est nécessaire qu’elle ait une certaine durée bien déterminée ».

Au Songe de Scipion, épisode célèbre de sa République, Cicéron parlait[1] « de ces inondations, de ces embrasements de la terre, dont le retour est inévitable à certaines époques marquées ». Comment ces époques sont-elles marquées ? L’orateur ne le disait pas ; mais, sans doute, il les regardait comme liées à la Grande Année dont, aussitôt après[2] il parlait en ces termes :

« Pour que l’Année véritable soit entièrement révolue, il faut que tous les astres soient revenus au point d’où ils sont partis une première fois, et qu’ils aient ramené, après un long temps, la même configuration du Ciel ; et je n’ose dire combien cette Année contient de vos siècles.

» Ainsi, le Soleil disparut aux yeux des hommes et sembla s’éteindre quand l’âme de Romulus entra dans nos saintes demeures ; lorsqu’il s’éclipsera du même côté du Ciel et au même instant, lorsque tous les signes et toutes les étoiles seront revenus au même principe, alors seulement l’Année sera complète. Mais sachez que, d’une telle Année, la vingtième partie n’est pas encore écoulée. »

Cicéron n’osait dire, en ce passage, combien cette Grande Année contient de nos siècles ; si nous en croyons Tacite, il avait cette audace dans le traité de philosophie, aujourd’hui perdu, qu’il avait intitulé Hortensius ; Tacite écrit en effet[3] : « Si, comme Cicéron l’écrit dans son Hortensius, la grande et véritable Année est celle après laquelle la position du Ciel et des astres se retrouvera, une seconde fois, exactement la même que celle qui existe aujourd’hui, et si cette Année en embrasse 12954 des nôtres… » Servius nous a également conservé ce passage de l’Hortensius[4].

L’exemple de Cicéron nous montre à quel point les Stoïciens latins étaient soucieux du problème de la périodicité du Monde et de la Grande Année ; de ce souci, il nous est fort aisé de citer d’autres témoins.

  1. M. T. Ciceronis De Republica lib. VI, cap. XVI.
  2. Cicéron, Op. laud., lib. VI, cap. XVII.
  3. C. Cornelii Taciti De claris oratoribus dialogus, cap. VI, L’attribution de ce dialogue à Tacite est contestée.
  4. Servius, Æneid., III, 284, à propos de ce vers :
    Interea magnum sol circumvolvitur annum.