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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE

Il semble bien que les premiers maîtres de l’École du Portique, que la plupart de leurs disciples, crussent, comme Platon, à l’identité numérique entre les êtres régénérés et les êtres qui avaient précédemment existé ; comme Platon, ils pensaient que les mêmes âmes reprendraient, un jour, possession des mêmes corps. Au second siècle de notre ère, Tatien, qui fut chrétien, puis gnostique, écrivait[1] : « Zénon déclare qu’après l’embrasement, les mêmes hommes s’adonneront aux mêmes besognes, je veux dire qu’Anytus et Melitus feront encore des réquisitoires, que Bousiris recommencera à tuer ses hôtes, qu’Hercule, de nouveau, exécutera des travaux athléliques. »

« Selon eux, dit Alexandre d’Aphrodisias[2], il faut vraiment qu’après la mort de Dion, advienne, à un certain moment, la séparation de l’âme et du corps de celui que désigne le nom de Dion ; ils pensent, en effet, qu’après l’embrasement, toutes choses seront, dans le monde, engendrées de nouveau, et numériquement les mêmes, en sorte que tel homme en particulier (ὁ ἰδίως ποῖος)[3] sera, derechef, le même qu’auparavant, et naîtra ainsi en ce nouveau monde. C’est ce que dit Chrysippe en ses livres Περὶ Κόσμου

» Ils disent encore que les hommes particuliers qui sont engendrés ultérieurement ne sont affectés, par rapport à ceux qui avaient existé auparavant, que de différences atteignant seulement certains des accidents extrinsèques ; telles sont les différences capables, durant sa vie, d’affecter Dion, qui n’en demeure pas moins le même, car elles n’en font point un autre homme ; qu’il ait, tout d’abord, par exemple, des verrues sur le visage et qu’ensuite il n’en ait plus, cela ne le rend point un autre homme ; ce sont des différences de cette sorte qui se produisent, disent-ils, entre les hommes particuliers d’un monde et ceux d’un autre monde. »

Ces renseignements sont précieux ; fournis par un homme qui fut interprète particulièrement pénétrant de la pensée des philosophes, ils sont d’une entière précision ; en outre, ils ont été puisés aux écrits mêmes de Chrysippe.

  1. Tatianus Adversus Grœcos, cap. V ; J. von Arnim, Op. laud., no 109, vol. I, p. 32.
  2. Alexandri Aphrodisiensis Commentaria in Aristotelis analytica priora, I, I (Alexandri In Aristotelis analyticorum priorum librum I commentarium. Edidit Maximilianus Wallies, Berolini, 1883 ; p. 180) — J. von Arnim, Op. laut., no 624, vol. II, pp. 189-190.
  3. Sur la théorie du τὸ ἰδίως ποιόν, qui est, selon Chrysippe, ce qui caractérise chaque être d’une manière permanente, voir : Émile Bhéhier, Chrisippe ; Paris, 1910, pp. 111-112.