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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


subsiste éternellement, qu’il existe certains temps périodiques au terme desquels les mêmes choses sont toutes engendrées de nouveau et de la même manière, au bout desquels la même disposition et la même organisation du Monde se retrouveront saines et sauves. »

Mais une question se présente, à laquelle il est souhaitable de donner une réponse précise. Lorsqu’au commencement d’une Grande Année, on voit reparaître des choses toutes semblables à celles qui sont nées au commencement de la Grande Année précédente, doit-on penser que ces choses semblables sont numériquement identiques les unes aux autres ? Doit-on croire seulement qu’elles sont de même espèce ? Empédocle, paraît-il, était de cette opinion-ci ; Platon, assurément, de celle-là. Les Stoïciens avaient-ils adopté le parti d’Empédocle ou le parti de Platon ?

Cette question fut, sans doute vivement agitée par l’École du Portique ; Plutarque nous montre[1] les Stoïciens préoccupés de la résoudre : « Comment la Providence, comment le Destin demeurent-ils uniques ? Comment, dans ces mondes multiples qui se succèdent, n’y aura-t-il pas plusieurs Dion et plusieurs Zénon ? S’il est absurde, en effet qu’il existe plusieurs Dion et plusieurs Zénon, combien plus absurde, à coup sûr, serait l’existence de plusieurs Providences et de plusieurs Destins. » Il ajoute ceci, par quoi nous apprenons que les Stoïciens n’exemptaient de la palingénésie ni les astres ni les dieux : « Dans ces périodes, en nombre infini, suivant lesquelles se succèdent les mondes, ils font une infinité de Soleils, de Lunes, d’Apollon, d’Artémise et de Bacchus. »

Simplicius nous apprend, lui aussi, que ce problème préoccupait les Stoïciens : « Cette question, dit-il[2], vient bien à propos de la palingénésie (παλιγγενεσία) des Stoïciens. Ceux-ci disent, en effet, que, par la palingénésie, renaîtra un homme qui est le même que moi ; aussi se demandent-ils fort justement si je serai alors numériquement le même que maintenant, si je serai le même par identité essentielle (διὰ τὸ τῇ οὐσίᾳ εἶναι ὁ αὐτός), ou bien si je serai différent par le fait de mon insertion dans un Univers autre que celui-ci. »

Comment les Stoïciens répondaient-ils à cette question ?

  1. Plutarchus, De defectu oraculorum cap. XXIX ; J. von Arnim, Op. laud., no 632, vol. II, p. 191.
  2. Simplicii In Aristotelis Physicorum libros quattuor posteriores commentaria ; Edidit Hermannus Diels ; Berolini, 1895. In Aristolelis lib. V, cap. IV ; p. 886. — J. von Arnim, Op. laud., no 627, vol. II, pp. 190-191.