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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


Ciel… Le temps est conjoint au mouvement ; une nature perpétuelle, au contraire, est propre à l’immobilité. »

Et cependant, même dans le Monde intelligible, dans ce Monde où toute action et toute passion sont soustraites à la mesure du temps, la Théologie d’Aristote admet l’existence de certains mouvements. En effet, tout aussitôt après le passage que nous venons de rapporter, elle poursuit en ces termes : « Au sein de l’Orbe spirituel, l’intelligence et l’Âme se meuvent vers le premier Auteur ».

Si les mouvements du Monde intelligible ne sont pas mesurés par le temps, c’est que, dans ces mouvements-là, il n’y a pas de succession ; de tels mouvements, exempts de succession, la Théologie d’Aristote, dans un autre passage[1], affirme l’existence au sein du Monde intelligible :

« Peut-être demandera-t-on si les âmes des étoiles se souviennent qu’elles ont vu toute la terre au cours du jour passé ou du mois passé ou de l’année passée, si elles connaissent qu’elles ont vécu durant ce temps passé. Si elles ne le connaissent pas, en effet, c’est assurément qu’elles sont privées de mémoire.

» Nous répondrons ; Les âmes des étoiles connaissent éternellement qu’elles font le tour de la terre, connaissent éternellement quelles vivent. Mais ce qui est perpétuel et invariable ne se déplace pas d’un lieu dans un autre ; le jour passé, le mois passé, les autres temps analogues marquent le terme de quelque chose que l’on a quitté (sunt termini recessionis) ; aussi un être permanent (ens firmum) n’est-il pas aujourd’hui autrement qu’il n’était hier ; il est toujours le même. C’est l’âme humaine qui, au moyen du mouvement, constitue le jour passé, le mois passé, l’année passée. Comme un homme qui marque ses pas en posant toujours un même pied sur diverses parties du sol, ainsi le mouvement d’un astre, qui est un pour l’âme de cet astre, est divisé par nous en parties multiples… De même encore en est-il d’une goutte d’eau qui tombe ; notre œil nous montre qu’elle est toujours la même pendant toute la durée de sa descente ; à celui qui la regarde, cependant, elle apparaît d’abord en haut, puis à mi-hauteur, puis en bas. Ainsi le passé, le présent et le futur sont-ils distingués les uns des autres, par nous et pour ce qui nous concerne, au moyen de la succession et de la suite des mouvements inférieurs, à l’aide de parties dont les unes viennent après les autres. Mais dans le Monde intelligible (In mundo celesti), il y a un jour unique… Et cependant, les dimensions des orbes sont diverses et les parties

  1. Aristotelis, Theologia, Lib. IX, cap. VI ; éd. 1519, fol. 44, vo et fol. 45, ro ; éd. 1572, fol. 76, vo et fol. 77, ro.