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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


divisée en trois parties d’une manière qui nous est relative et qui se rapporte au temps présent à chacun de nous : le temps présent de l’un diffère donc du temps présent de l’autre, tandis que par lui-même, le temps est unique et continu,

« Cela bien expliqué, nous devons ajouter que la division du temps existe seulement en puissance, et que l’instant présent indivisible, lui aussi, n’est qu’en puissance ; c’est notre intelligence seule qui effectue cette division, c’est elle qui crée cet instant présent à titre de terme et qui en fait l’indivisibilité. C’est elle qui prend et réunit en un seul tout, qu’elle regarde comme présent et qu’elle définit en une idée unique[1] une certaine mesure de temps, telle qu’un jour, un mois ou une année ; sans doute, la substance d’une telle idée a une existence qui dure pendant une certaine partie plus ou moins longue du temps, mais l’existence qu’elle possède consiste dans un devenir ; si l’on voulait qu’une telle idée, ainsi formée par réunion, fût fixée, on ne la considérerait plus comme étant dans le devenir, comme prenant part à l’écoulement du temps, mais comme une chose séparée et détachée. C’est de cette façon qu’existe un fleuve, qu’existe le fleuve que voici ; toute forme de fleuve, en effet, est une forme qui demeure fixe ; de cette forme, le fleuve coulant tire son existence, car il reçoit cette forme dans une matière qui s’écoule sans cesse ; si vous arrêtiez le fleuve, le fleuve n’existerait plus. De même, considérés au point de vue spécifique, le passé, le présent et le futur se trouvent compris ensemble dans l’idée unique du temps, mais ils se déroulent dans le devenir ; ce qui, sans cesse, parvient à l’existence, se nomme présent ; ce qui a cessé d’être s’appelle passé ; ce qui n’est pas encore est dit futur. Le temps, considéré dans son ensemble, s’écoule continuellement, et il en est de même du mouvement ; en l’un comme en l’autre, lorsqu’on détache un présent auquel on attribue l’existence actuelle, lorsqu’on ramasse en un seul tout et lorsqu’on fige une portion déterminée de l’un ou de l’autre, on détruit aussi bien l’espèce du temps que celle du mouvement, car cette idée n’a d’existence que dans le devenir. Toute la difficulté semble provenir de ce que l’âme tend à connaître toutes choses sous forme d’idées qui soient fixées en elle. Elle fixe donc même le mouvement, en cherchant à le connaître sous forme idéale, et non point à le connaître selon l’écoulement qui est propre à la nature [de ce mouvement].

  1. Le texte porte : οὐ ϰαθ’ ἓν εἶδος ἀφορίζοντας ; οὐ doit évidemment être supprimé.