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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


gement ; il y met seulement l’ordre et la continuité, c’est-à-dire l’unité : « Par lui-même[1], le temps serait plutôt, une cause d’immutabilité pour tous les êtres qui, d’eux-mêmes, sortent sans cesse de l’état dans lequel ils se trouvent ; en sorte que le temps est plutôt cause de repos que de mouvement ».

Cette affirmation, Simplicius en fait la remarque, tend à rapprocher le temps de l’éternité ; mais le désir d’accentuer ce rapprochement va se manifester d’une manière plus significative en la doctrine de Damascius. Entre l’éternité, dont l’existence permanente garde la plus immuable unité, et le temps qui s’écoule perpétuellement, qui n’a d’existence qu’en un continuel devenir, le maître de Simplicius va placer un intermédiaire.

Cet intermédiaire, Damascius lui donne parfois le nom de temps primordial[2] (χρόνος πρῶτος χρόνος), déjà employé dans un sens analogue par Plotin et par ses successeurs ; parfois aussi, il l’appelle[3] temps substantiel (ἐν ὑποστάσει). Comme cet intermédiaire tient à la fois du temps et de l’éternité, certains philosophes, remarque Simplicius[4], l’ont nommé χρόνος et d’autres αἰών. Les Scolastiques chrétiens concevront aussi, au cours du Moyen-Âge, un intermédiaire entre le temps (tempus) et l’éternité (æternitas), et ils le désigneront par le terme d’ævum ; empruntons-leur ce mot pour désigner le temps substantiel de Damascius.

La doctrine de Damascius diffère de toutes celles qui l’ont précédée en ce qu’elle soustrait l’ævum à l’écoulement perpétuel ; elle ne lui attribue plus ce mode d’existence qui consiste en un continuel devenir ; elle lui confère une existence permanente analogue à celle de l’éternité ; elle affirme[5] « que le temps substantiel existe simultanément en totalité. Τὸ εἶναι ἅμα τὸν ὅλον χρόνον ἐν ὑποστάσει. »

La nouveauté de cette affirmation dut grandement étonner bon nombre de Néo-platoniciens ; jamais, du vivant de Damascius, Simplicius n’en put reconnaître l’exactitude[6] : il nous rapporte les objections qu’il faisait à son maître et les répliques que celui-ci lui adressait ; ces répliques convainquirent plus tard le Commentateur athénien : « Cet enseignement, déclare-t-il[7], ne me semble plus difficile à admettre ».

  1. Simplicius, ibid.
  2. Simplicius, loc. cit., éd. cit., p.784.
  3. Simplicius, loc. cit., éd. cit., p. 775.
  4. Simplicius, loc. cit., éd. cit., p.779.
  5. Simplicius, loc. cit., éd. cit., p.775.
  6. Simplicius, loc. cit., éd. cit., p.775-784.
  7. Simplicius, loc. cit., éd. cit., p.784.