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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


thie pour Jamblique », Damascius s’écarta en nombre de points de l’enseignement de Proclus ; bientôt, nous aurons à admirer l’originalité et la profondeur de la théorie du lieu qu’il a exposée dans son livre Περὶ ἀριθμοῦ ϰαὶ τόπου ϰαὶ χρόνου ; dans ce même livre, il a développé, au sujet, du temps, des considérations qui ne sont pas moins remarquables. Ces réflexions nous ont été, en partie, conservées par Simplicius ; celui-ci, qui partageait plusieurs opinions de son Maître, les a dotées de précieux éclaircissements ; la collaboration de Damascius et de Simplicius nous a valu la théorie du temps que nous allons résumer.

Entre les choses de la Nature, il existe, au gré de Simplicius, trois sortes de distinctions auxquelles correspondent trois mesures ; la distinction qui engendre la multiplicité a le nombre pour mesure ; les différences de position sont mesurées par le lieu ; le temps mesure, entre les choses, une troisième sorte de différence qui correspond aux mots avant, après. Par le nombre, les êtres numériquement différents ne se confondent pas en un être unique ; « grâce au lieu[1], les diverses parties de corps distants l’un de l’autre ne sont pas réunies ensemble ; de même, grâce au temps, les événements de la guerre de Troie ne sont point mis avec ceux de la guerre du Péloponèse, et l’on ne confond pas l’enfance avec la jeunesse ».

« Le mouvement et le temps, dit encore Damascius[2] sont en un continuel écoulement (ἐν συνεχεῖ ῥοῇ) ; ce ne sont point des êtres dénués de toute existence réelle, mais l’existence qu’ils possèdent consiste dans le devenir (οὐϰ ἔστιν ἀνυπόστατα, ἀλλ’ ἐν τῷ γίνεσθαι τὸ εἶναι ἔχει) ; or, le devenir ne consiste pas simplement à être, mais à exister, tantôt d’une manière et tantôt d’une autre, en des parties différentes.

» L’éternité est cause qu’au sein de l’Être un qui jouit de cette éternité, quelque chose garde une existence permanente ; et ce quelque chose, c’est la distinction intelligible [entre les idées] émanées du propre fonds de l’Être un. De même, le temps est cause de la marche régulière accomplie, autour de l’Un intelligible, par le rayonnement de l’idée qui émane de cette Intelligence pour se répandre dans le Monde sensible ; il est la cause de la continuité ordonnée qui préside à cette marche. »

Non pas qu’il faille voir dans l’écoulement du temps la cause du changement ; les choses dont l’existence consiste dans le devenir changent d’elles-mêmes ; le temps ne provoque pas ce chan-

  1. Simplicius, loc. cit., éd. cit., p. 775.
  2. Simplicius, ibid.