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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


τιϰῶς ἐνεργεῖ, et elle possède un mouvement particulier. Or, il est évident que toute chose qui est en mouvement, qui participe du temps et qui est éternelle, use d’un trajet périodique, reprend périodiquement le parcours du même cycle (περιοδιϰῶς ἀναϰυϰλεῖται) et se trouve [périodiquement] replacée dans son état initial. Partant, comme toute âme contenue dans le Monde est douée de mouvement et développe son action dans le temps, elle aura des mouvements cycliques et des retours à l’état initial ; car tout cycle parcouru par des êtres éternels est un cycle fermé — Πᾶσα γὰρ περίοδος τῶν ἀιδίων ἀποϰαταστατιϰή ἐστι. »

Arrêtons-nous un instant à méditer cette proposition. Elle formule avec une entière précision l’un des principes essentiels de la Sagesse antique, l’un de ceux par lesquels cette Sagesse contredit le plus ouvertement aux doctrines qui dirigent aujourd’hui la Science et la Philosophie.

L’Antiquité ne concevait la perpétuité que sous deux formes.

En premier lieu, elle concevait l’éternité, c’est-à-dire la perpétuité de ce qui ne change pas, de ce qui demeure constant.

En second lieu, elle admettait la perpétuité de ce qui est périodique, de ce qui reprend indéfiniment et de la même manière le parcours du même cycle.

Il ne lui venait pas à la pensée de mettre dans la réalité la perpétuité d’une chose qui varie en tendant vers une limite, en se rapprochant sans cesse de cette limite sans jamais l’atteindre, la perpétuité qui n’a plus pour image le cercle répété une infinité de fois, mais l’hyperbole, toujours plus voisine de son asymptote et jamais confondue avec elle.

Là, nous voyons, avec une parfaite clarté, l’opposition irréductible de cette Philosophie antique à nos doctrines modernes ; à notre Thermodynamique, qui ne permettrait pas au Monde borné des Anciens de repasser deux fois par le même état ; à nos diverses théories de l’évolution qui veulent, en toutes choses, voir une marche progressive vers un certain terme idéal dont ces choses se rapprochent toujours sans y parvenir jamais.

En vérité, entre le temps de Proclus et le nôtre, les idées de l’humanité ont éprouvé, au sujet de la question qui nous occupe, un bien profond changement ; ce changement, nous le verrons, a été, en entier, l’œuvre du Christianisme.

Revenons à la vie périodique des âmes.

Parmi ces âmes, il en est une qui est la première, qui est celle à laquelle on donne communément le nom d’Âme du Monde. Chacun des cycles dont la répétition indéfinie constitue la vie de cette pre-