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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE

Jamblique avait fait du temps une substance douée d’existence autonome, une intelligence organisatrice émanée de l’intelligence première ; poussant plus loin encore dans la même voie, Proclus[1] et, après lui, la plupart des Néo-platoniciens, ont fait du Temps un dieu.

La méthode constante des Néo-platoniciens, en effet, est celle dont Jamblique vient de nous donner un exemple ; elle consiste à transformer en êtres réellement distincts et subsistants par eux-mêmes toutes les notions que notre esprit peut discerner les unes des autres. Notre raison, par exemple, établit une distinction entre l’éternité et les êtres qui ont part à cette éternité ; aussitôt, le Néo-platonisme fait de l’Éternité un être distinct des autres substances éternelles et, par nature, antérieur à ces substances qui, de l’Éternité subsistante en elle-même, tiennent leur permanence éternelle. De même en sera-t-il du Temps à l’égard des choses qui ont une existence temporelle.

C’est de cette manière, assurément, que raisonnait Jamblique ; c’est de cette manière que Proclus raisonne, avec une pleine clarté, dans son Institution théologigue[2].

« Avant toutes les choses éternelles, dit-il[3], existe l’Éternité (ὁ Αἰών), et avant toutes les choses qui sont temporelles, subsiste le Temps. En effet, d’une façon universelle, avant les choses qui participent sont les choses que les premières reçoivent par participation ; et avant ces choses qui sont reçues par participation existent celles qui sont exemptes de toute participation. Il est donc évident qu’autre est un être éternel, autre l’éternité qui réside en cet être éternel, autre enfin l’Éternité en soi ; le premier joue le rôle de ce qui participe, la seconde de ce qui est reçu par participation, la troisième de ce qui est exempt de toute participation.

» De même, autre est la chose temporelle, car elle participe ; autre est le temps qui réside en cette chose temporelle, car il est reçu par participation ; et, avant celui-là, est le Temps exempt de toute participation.

  1. Simplicius, loc. cit., p. 795.
  2. Initia Philosophiœ ac Theologiœ ex Platonicis fontibus ducta sive Procli Diadochi et Olympiodori In Platonis Alcibiadem commentarii, Ex codd. mss. nunc primum grœce édidit itemque eiusdem Procli Institutionem theologicam integriorem emendatioremque adjectif Fridericus Kreuzer. Pars tertia, Procli Successoris platonici Institutio theologica græce et latine. Francofurti ad Mœnum MDCCCXXII. — Cette édition est reproduite dans celle des Plotini Enneades donnée par Ambroise-Firmin Didot en 1855 ; vide supra, p. 248, note 3.
  3. Procli Diadochi Institutio theologica, cap. LIII ; éd. 1822. pp. 82-85 ; éd. 1855, p. LXIX.