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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


feste la rotation [céleste] ni qu’il soit manifesté par elle ; mais parce qu’il est la cause de toutes choses et ce qui les rassemble dans l’unité. »

Le temps, donc, a été produit par le Démiurge, alors qu’il engendrait l’Âme du Monde et le Ciel ; plus ancien que la vie qui se déroule en raisonnements discursifs au sein de l’Âme du Monde, plus ancien que le mouvement universel que cette Âme, en son activité, produit hors d’elle-même, plus ancien que la rotation du Ciel, le temps est l’ordre primitif suivant lequel ont été ordonnés, à leur tour, cette vie et ces mouvements ; l’Âme vit dans le temps et meut dans le temps, le Ciel tourne dans le temps. Seul, le Démiurge, antérieur au temps comme l’est la suprême Unité, pense dans l’éternité.

L’éternité (ὁ ἀιών), c’est le présent (τὸ νῦν). Elle est, à l’Intelligence, ce que le temps est à l’Âme universelle ; le temps est l’image de l’éternité comme l’Âme est une image de l’Intelligence. « Le temps », dit Jamblique en son Commentaire aux Catégories[1], « est très exactement défini une image mobile de l’éternité. De même que l’Âme est une imitation de l’intelligence et que ses raisonnements (λόγοι) procèdent par analogie avec les connaissances intuitives (νοήσεις) de l’Intelligence, de même le présent indivisible qui se trouve en elle est-il une imitation du présent qui demeure au sein de l’Un ; la façon dont celui-là contient en lui toutes choses rappelle la manière dont celui-ci, simultanément et toujours, contient en lui-même les êtres véritables (τὰ ὄντα)[2] ; la mobilité du premier est une figure de l’immobilité du second, et la mesure des choses soumises à la génération se moule sur la mesure des essences. »

« Il est évident, poursuit Simplicius, que Jamblique pose l’éternité comme la mesure universelle des êtres véritables (τὰ ὄντως ὄντα), tandis qu’il regarde le temps qui subsiste par lui-même comme une essence qui mesure la génération ; elle mesure, en premier lieu, la génération propre de l’Âme ; puis, après cette génération-là, celle qui en procède ; vient ensuite le temps [physique] qui se range dans la même série que le mouvement, et qui n’a pas de substance propre, car l’existence qu’il possède consiste à être continuellement engendré. »

La nature de ce présent perpétuel qui demeure dans l’Un ainsi qu’en l’Intelligence, la nature du présent instantané qui en pro-

  1. Simplicius, loc. cit., ; p. 793.
  2. Τὰ ὄντως ὄντα ou, simplement, τὰ ὄντα désigne les idées dans la philosophie de Platon et de ses disciples.