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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


accomplies par cette opération. L’action qui a mis l’ordre dans l’ensemble du Ciel démontre, en effet, cette vérité que l’existence substantielle du temps est concomitante de l’opération organisatrice qui procède du Démiurge ; partant, cette existence substantielle du temps précède la révolution périodique du Ciel, de même que l’opération organisatrice qui ordonne et qui prend soin précède, en chaque ordre de choses, les effets de ses propres commandements ; la masse du Ciel (ἀθρόος) comprend cette substance tout entière dans les limites de termes bien définis, et ces termes gardent un rapport avec la Cause d’où procède cette substance[1].

» Nous sommes d’accord [avec les autres philosophes] pour admettre qu’il y a un ordre du temps ; mais ce n’est pas un ordre qui est ordonné, c’est un ordre qui ordonne ; ce n’est pas un ordre subordonné à certaines choses qui le précéderaient ; il est, au contraire, l’auteur de certaines œuvres exécutées par lui, et il est plus ancien qu’elles ; il n’est pas déterminé par la considération particulière des raisonnements de l’Âme, ou des mouvements, ou d’autres puissances considérées à part ; mais c’est l’ordre universel qui se trouve complètement réalisé dans la totalité des créations émanées du Démiurge. Pour ranger les choses successives dans l’ordre convenable, nous ne suivons ni les transformations qui accompagnent tel mouvement, ni le développement de telle vie, ni la marche des générations qui se produisent dans le Monde, ni quoi que ce soit d’analogue ; mais cet ordre, nous le déterminons selon la suite progressive des causes, selon le tissu continu des créations, selon l’énergie qui accomplit l’œuvre primordiale, selon la puissance qui effectue tous les mouvements et selon tous les êtres de même sorte. Ainsi donc, nous ne disons pas que le mouvement qui procède de l’Âme ou que la vie de cette Âme a engendré le temps et, tout ensemble, le Ciel ; nous disons que le temps et le Ciel ont été engendrés par l’opération organisatrice intellectuelle qui procède du Démiurge ; l’existence du temps, considéré en lui-même, et l’existence du Ciel sont simultanées à cette opération. L’Ancien lui-même[2] affirme clairement que Dieu a produit et ordonné le temps en même temps que le Ciel. On peut admettre que le temps est mesure ; non pas qu’il mesure le mouvement local ni qu’il soit mesuré par ce mouvement ; non pas qu’il mani-

  1. Selon l’enseignement constant des Néo-platoniciens, la sphère est une image de l’Intelligence qui établit la transition entre l’Un, représenté par le centre, et la Nature multiple, représentée par la surface, V. : Plotini Enneadis VIœ liber V, art. V ; Plotini Enneades, éd, Didot, p. 450.
  2. Ὁ παλαιός, c’est-à-dire Platon. C’est, en effet, ce que dit Platon, au Timée, 37 (Platonis Opera, éd. Didot, t. II, p. 209).