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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

nature ; le temps va vers l’éternité ; il pourrait prendre fin et se dissoudre dans l’éternité si le Dieu qui a fabriqué le Monde l’avait décidé ».

Il est « l’ordonnateur de toutes choses, rerum ordinator ». « Les durées de ce temps servent de mesures à la conversion du Monde ; c’est lui, en effet, qui actionne (agit) le globe du Soleil, celui de la Lune et les autres étoiles que nous appelons à tort vagues et errantes, » car le temps a réglé le cours de ces astres de telle manière que la plus petite divagation ne s’y puisse rencontrer.

Cet ordonnateur de toutes choses, qui donne aux astres leur activité et règle leurs mouvements, doit, semble-t-il, résider au sein de l’Âme du Monde, à moins qu’il ne constitue un principe divin, distinct de cette Âme et, comme elle, émané du Démiurge ; c’est ce qu’enseignera Jamblique.

L’École péripatéticienne tout entière, y compris Straton de Lampsaque, cherchait le temps dans les mouvements et dans les transformations du monde sensible. Archytas de Tarente avait voulu le trouver plus haut ; il en avait fait la mesure du mouvement universel qui est la manifestation extérieure, première et immédiate de l’activité de l’Âme du Monde, et qui est la cause de tous les mouvements particuliers. Plotin et son disciple Porphyre avaient placé l’origine du temps plus haut que ne l’avait fait Archytas ; ils l’avaient identifié avec la vie même de l’Âme, vie dont procède le mouvement considéré par Archytas. Jamblique va renchérir sur Plotin et sur Porphyre, et placer le temps à un rang plus élevé encore dans la hiérarchie des essences suprasensibles ; il ne le mettra pas dans l’Âme du Monde ; il en fera la cause qui détermine la vie interne et le mouvement externe de l’Âme ; il en fera une émanation directe de l’Intelligence ou du Démiurge ; le Démiurge a produit le temps en même temps qu’il produisait l’Âme et le Ciel ; c’est le temps qui a ordonné la vie de l’Âme et la circulation du Ciel.

Ces idées, Jamblique s’est plu à les développer en divers passages que nous a conservés Simplicius.

En voici d’abord un aperçu[1] que Jamblique présentait au premier livre de ses Commentaires aux Catégories, aussitôt après l’exposé de la doctrine d’Archytas : « Le temps doit être défini à l’aide d’un certain mouvement ; mais ce ne peut être à l’aide d’un mouvement unique choisi parmi la multitude des autres mouve-

  1. Simplicius, loc. cit., ; éd. cit., p. 786.