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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

L’Âme est donc en mouvement parce que, continuellement, elle cesse de contempler un concept pour commencer d’en contempler un autre. Mais ce mouvement est tout interne. Ce qui se succède au sein de l’Âme, ce ne sont point choses venues de l’extérieur et qui retourneraient à l’extérieur. Les concepts qui se suivent dans sa contemplation demeurent en elle, tous et toujours ; seulement son attention se porte tantôt sur l’un d’eux et tantôt sur l’autre. C’est, en effet, en partant d’elle-même et en revenant à elle-même que l’Âme se meut : « ἀλλ’ αὐτῆς ϰαὶ αὐτόθεν εἰς ἑαυθην ϰινουμένης ». « Elle est semblable à une source qui ne s’écoulerait pas au dehors, mais qui reverserait en elle-même, d’une manière cyclique, l’eau qu’elle possède. — Πηγῇ γὰρ ἔοιϰεν οὐϰ ἀποῤῥύτῳ ἀλλὰ ϰύϰλῳ εἰς ἑαυτὴν ἀναϐλυζούσῃ ἂ ἔχει. »

Cette dernière comparaison suffirait à nous apprendre, si toute la Théologie de Plotin et de Porphyre ne nous en assurait par ailleurs, que ce mouvement interne de l’Âme du Monde est un mouvement cyclique, un mouvement périodique.

C’est donc à cette connaissance discursive, reproduite d’une manière périodique suivant un certain cycle, que le temps est lié, de même que l’éternité est liée à la connaissance non discursive, non successive que possède l’Intelligence. « L’éternité n’est pas, d’ailleurs, une chose distincte de l’Intelligence non plus que le temps n’est une chose distincte de l’Âme du Monde ; en sorte qu’il n’y a là que des coexistences liées à d’autres existences. — Οὐ διῃρημένος ἀπ' αὐτοῦ [ὁ αἰών], ὥσπερ ὁ χρόνος ἐϰ Ψυχῆς. Ὅτι ϰαὶ αἱ παρυποστάσεις ἥνωνται ἐϰεῖ. »

Jamblique, nous le verrons dans un instant, refusera de souscrire à cette affirmation de Porphyre ; il fera du temps un être distinct de l’Âme du Monde, et antérieur à elle.

Comme Platon, Porphyre se complaît à voir dans le temps une image de l’éternité, à chercher dans l’éternité une ressemblance avec le temps.

Le temps, apanage du continuel mouvement de l’Âme, suggère, par sa longue durée, la pensée de l’éternité. L’éternité, à son tour, imite le temps, en ce qu’elle semble multiplier le présent unique qui la constitue et, sous forme d’instant présent, lui faire parcourir le temps.

Mais Porphyre ne se contente pas de considérer le temps comme apanage du mouvement interne de l’Âme du Monde ; il le cherche aussi dans les mouvements des choses sensibles. Là, à des mouvements différents correspondent des temps distincts : « Λοιπὸν δὲ ἐν τοῖς αἰσθητοῖς ὁ διῃρημένος χρόνος ἄλλος ἄλλου. — Autre est le temps