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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE

L’Un, qui est l’Être suprême, et l’Intelligence, qui en est la première émanation, sont absolument immuables ; ils demeurent toujours identiques à eux-mêmes, en sorte que, pour eux, il n’y a pas de temps ; ils sont éternels ; ils vivent, mais leur vie est un éternel repos (ζωὴ ἐν στάσει).

L’Un est absolument immobile ; l’opération par laquelle l’Intelligence connaît l’Un et se connaît elle-même est assimilée à un mouvement ; mais ce mouvement intellectuel est exempt de tout changement ; Aristote lui refuserait le nom de mouvement ; mais Platon le lui donne au dixième livre des Lois et les Néo-platoniciens suivent son exemple.

Le temps primitif va résider dans la seconde émanation, dans l’Âme du Monde ; l’Âme du Monde n’est ni engendrée ni détruite, mais, cependant, elle n’est pas immobile ; elle est vivante, d’une vie continuellement changeante ; il se produit, dans sa substance, un flux perpétuel par lequel elle passe incessamment d’un état de vie à un autre état de vie ; c’est là le mouvement substantiel de l’Âme ; Plotin le nomme : « Ζωὴ ψυχῆς ἐν ϰινήσει μεταϐατιϰῇ ἐξ ἄλλου εἰς ἄλλωον βίον ». Cette vie, qui est une évolution perpétuelle, constitue le temps primitif et véritable ; comme le voulait Platon, ce temps-là est une image de l’éternité, car l’éternité, c’est la vie toujours en repos de l’Un et de l’Intelligence.

Citons, à l’exemple de Simplicius, les passages où Plotin a nettement posé cette définition du temps[1] : « Si l’on disait que le temps est la vie de l’Âme en ce mouvement d’évolution par lequel elle passe d’un état de vie à un autre état de vie, il semblerait assurément que l’on dît quelque chose qui vaille. L’éternité, en effet, c’est la vie qui demeure en repos, toujours dans le même être, toujours de la même manière et qui, dès maintenant, est infinie (ἄπειρος ἤδη). Or le temps doit être l’image de l’éternité. De même, donc, que l’universel se comporte par rapport au singulier, de même devons-nous dire que la vie qui réside là-haut, trouve une sorte d’homonyme en cette autre vie qui est celle de la puissance de l’Âme ; au lieu du mouvement de l’Intelligence, nous devons placer le mouvement d’une certaine partie de l’Âme ; au lieu de l’identité, de l’immutabilité, de la permanence, il nous faut mettre une mutabilité qui ne persiste aucunement dans un même état, mais qui, sans cesse, passe d’un acte à un autre acte ; en regard de l’indivisible unité, l’unité par continuité sera l’image de cette unité absolue ; au lieu de l’infini subsistant en sa totalité, sera ce

  1. Plotini Enneadis IIIœ lib. VII, c. x ; Plotini Enneades, éd. Ambroise Firmin-Didot, p. 177.