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LES THÉORIES DU TEMPS, DU LIEU ET DU VIDE APRÈS ARISTOTE


dévier, en certaines questions essentielles, de l’enseignement de son maître ; la notion de matière première, par exemple, qui se trouve à la base même de toute la Physique d’Aristote, paraît être altérée d’une manière sensible dans l’enseignement de son successeur[1].

En 287, à la mort de Théophraste, Straton de Lampsaque se trouva placé à la tête du Lycée ; il y demeura jusqu’à sa mort, survenue en 269. La Physique qu’il enseigna n’avait, dans ses thèses essentielles, presque plus rien de celle qu’avait enseignée Aristote[2] ; l’influence de Démocrite y contrebalançait celle du créateur de la philosophie péripatéticienne et, bien souvent, la surmontait.

Aristote dut donc attendre bien longtemps avant de trouver des disciples fidèles qui eussent pour principal souci d’analyser la pensée du maître, de l’éclaircir, de la compléter. Alexandre d’Aphrodisias, qui enseignait à Alexandrie vers le temps de Septime Sévère, fut le premier de ces péripatéticiens qui, par des commentaires détaillés des œuvres du Stagirite, s’efforcèrent de remettre en faveur la doctrine que ces œuvres exposaient. Il fut aussi le plus exact de ces commentateurs, car son imitateur et abréviateur Thémistius (317-vers 393 après J.-C.) subit souvent l’influence du Platonisme.

On en peut dire autant, et à plus forte raison, des nombreux commentateurs d’Aristote qu’ont donnés les diverses écoles néoplatoniciennes ; le désir de fondre en une synthèse la Métaphysique de Platon et celle de son élève fut, en effet, une des tendances dominantes du Néo-platonisme.

Les Néo-platoniciens, donc, sans accepter dans sa totalité la Physique du Stagirite, en inséraient maint fragment dans leurs propres systèmes de Physique ; ils n’étaient, à en user de la sorte, ni les seuls ni les premiers ; les Stoïciens leur avaient frayé la voie.

En l’année 300 av. J.-C, alors que Straton de Lampsaque allait prendre la direction du Lycée, Zénon de Citium fondait, à Athènes, l’École du Portique (Στοά). À la tête de cette École, Cléanthe lui succéda en 261, et, en 232, Chrysippe prit la suite de Cléanthe. Ce que nous savons de la Physique de Zénon, de Cléanthe, de Chrysippe nous montre, par rapport au Péripatétisme, tantôt une divergence extrême et, tantôt, de très frappantes ana-

  1. Albert Rivaud, Le problème du Devenir et la notion de Matière dans la Philosophie grecque, depuis les origines jusqu’à Théophraste ; Paris, 1905, § 336, pp. 462-463.
  2. G. Rodier, La Physique de Straton de Lampsaque ; Paris, 1890.