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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

Si incomplet, cependant, que soit cet exposé, il suffira peut-être à donner au lecteur une impression de ce qu’a été la philosophie péripatéticienne. L’humanité n’a jamais vu aucune synthèse dont l’ensemble ait autant d’unité, dont les diverses parties fussent aussi intimement reliées les unes aux autres. La partie logique de l’œuvre d’Aristote étudie, avec une puissance de pénétration et une délicatesse d’analyse que l’on n’a pas dépassées, les règles selon lesquelles la Science doit être construite ; puis, selon ces règles, le reste de l’œuvre du Stagirite bâtit le prodigieux édifice où trouvent place les doctrines spéculatives, Mathématique, Physique et Métaphysique, et les doctrines pratiques, Éthique, Économique et Politique. Le monument a l’inébranlable solidité d’un bloc et la pureté de lignes de la plus belle œuvre d’art.

De la Physique d’Aristote, cependant, il ne restera pas pierre sur pierre. La Science moderne, pour se substituer à cette Physique, en devra démolir successivement toutes les parties ; sans doute, maint fragment, emprunté au monument antique, sera repris pour bâtir les murs du nouvel édifice ; mais avant de trouver place dans cet appareil pour lequel il n’avait pas été taillé, il lui faudra recevoir une figure toute différente de celle qu’il affectait jadis ; et, bien souvent, il serait fort malaisé de le reconnaître à qui n’aurait pas suivi le travail de retouches successives auquel on l’a soumis.

Dans cette Physique, nous avons distingué deux théories essentielles ; de ces deux théories, l’une ordonne le mouvement des corps éternels, l’autre régit le mouvement des corps sujets à la naissance et à la mort. La première repose sur ce dogme fondamental : Tous les mouvements de la substance céleste sont des mouvements circulaires et uniformes qui ont pour centre le centre du Monde. La seconde est dominée par la notion du lieu naturel ; elle précise les lois des mouvements naturels par lesquels les corps graves ou légers tendent à leurs lieux propres.

Aussitôt après sa naissance, la Mécanique céleste d’Aristote se trouvera combattue ; elle sera contestée au nom de la règle à laquelle doit, selon les principes mêmes que le Stagirite a posés, se soumettre toute théorie physique ; elle sera niée parce qu’elle ne s’accorde pas avec les faits. Hors d’elle et contre elle, on verra se dresser d’autres Mécaniques célestes, d’abord le système héliocentrique, puis le système des excentriques et des épicycles. Avec Hipparque et Ptolémée, ce dernier triomphera parmi les astronomes ; mais jusqu’à la Renaissance, cette victoire sera contestée par les philosophes péripatéticicns, conservateurs obstinés du principe