Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
238
LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


mouvement comme du mouvement du fer vers l’aimant ; et, dès lors, il pourrait arriver qu’une portion de terre se mût naturellement vers le haut » ; cela aurait lieu, par exemple, si la terre entière était placée au contact de l’orbe de la Lune, comme Aristote l’imagine quelque part.

« Dès là que le mouvement de la terre vers le centre n’est point l’effet d’une attraction produite soit par la nature du lieu lui-même, soit par la nature du corps qui occupe ce lieu, qu’il n’est point non plus l’effet d’une impulsion provenant du mouvement du Ciel, il est clair que le raisonnement d’Aristote est concluant. »

Le pivot du raisonnement d’Aristote, c’est, en effet, cette proposition, que le Commentateur formule si nettement : La pesanteur n’est l’effet ni d’une attraction émanée du centre du Monde ni d’une attraction émanée du corps grave qui occupe actuellement ce centre. Ce principe domine tout ce qu’Aristote a écrit au sujet des mouvements naturels des corps sublunaires.

Afin de bien marquer que le poids d’une masse de terre n’est pas une attraction, Averroès l’oppose à l’attraction que le fer éprouve de la part de l’aimant ; il ne sera pas inutile, pour bien comprendre toute la force de cette opposition, de savoir ce que le Commentateur de Cordoue enseignait au sujet des actions magnétiques ; il serait malaisé d’appuver de textes formels, empruntés à Aristote, l’opinion qu’il professait à cet endroit ; du moins peut-on dire qu’elle est parfaitement conforme à l’esprit de la Physique péripatéticienne.

Une action[1] par laquelle le corps attiré se meut tandis que le corps attirant est immobile, comme il advient du fer et de l’aimant, n’est pas, à proprement parler, une attraction ; elle ne l’est que par métaphore ; en réalité, l’aimant ne tire pas le fer, mais le fer se porte vers l’aimant comme le corps grave se porte vers son lieu qui est le centre du Monde.

Entre le mouvement naturel du corps grave et le mouvement du fer vers l’aimant, il y a, toutefois, une différence : « Le corps qui tend à son lieu propre se meut également vers ce lieu, soit qu’il s’en trouve rapproché, soit qu’il s’en trouve éloigné ». Averroès pense, au contraire, que la tendance du fer à l’aimant diminue lorsque la distance augmente, et même que cette distance peut être assez grande pour que toute action disparaisse ; et cela, parce que « le fer ne se meut point vers l’aimant, s’il ne se trouve affecté d’une certaine qualité qui provient de l’aimant C’est par cette

  1. Averrois Cordubensis Commentarii in Aristotelis libros de physico audit ; in lib. VII comm. 10.