Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
234
LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


Κόσμος ». Par là-même, il comprend toute la matière qui a jamais existé comme toute celle qui est possible : car la matière est en puissance de toutes les transformations, mais elle ne saurait être ni créée ni détruite. En sorte que le Monde n’est pas seulement unique actuellement ; il est encore unique dans le temps ; aucun monde ne l’a précédé, aucun monde ne le suivra, car le Ciel est un, permanent et parfait : « Ἀλλ’ εἶς ϰαὶ μόνος ϰαὶ τέλειος οὖτος ».

L’argumentation d’Aristote peut servir à réfuter certaines doctrines dont il ne fait pas explicite mention, mais auxquelles il songeait peut-être.

« Héraclide du Pont, nous dit Stobée[1] et les Pythagoriciens prétendent que chacun des astres constitue un monde, qu’il contient une terre entourée d’air et que le tout est plongé dans l’éther illimité ; les mêmes doctrines sont exposées dans les hymnes orphiques, car ceux-ci font un monde de chacun des astres. »

En affirmant que la terre a un lieu naturel unique, Aristote contredisait à ces doctrines selon lesquelles chaque astre contenait une terre ; sa réfutation de la pluralité des mondes allait à l’encontre des opinions que les Copernicains devaient un jour reprendre.


XVII
LA PLURALITÉ DES MONDES SELON SIMPLICIUS ET SELON AVERROÈS

Au cours de cet exposé de la Physique d’Aristote, nous avons évité, la plupart du temps, de mentionner les opinions des Grecs ou des Arabes qui ont commenté cette Physique ; nous avons cherché à mettre le lecteur au contact immédiat de la pensée du Stagirite. Ici, nous ferons exception à cette règle que nous nous étions imposée ; nous rapporterons les interprétations que Simplicius et Averroès ont données de l’argument péripatéticien contre la pluralité des mondes ; très différentes l’une de l’autre, ces deux interprétations serviront à préciser ce qu’Aristote entendait par lieu naturel et par tendance vers ce lieu ; en outre, elles nous feront mieux connaître les doctrines divergentes entre lesquelles les docteurs de la Scolastique chrétienne ont eu à faire choix.

C’est par sa nature même, a dit Aristote, qu’un grave tend au

  1. Joannis Stobæi Eclogarum physicarum cap. XXIV ; éd. Meineke, t. I, p. 140.