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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

Il est également un astre que l’épaisseur même de la Terre cache sans cesse aux yeux des hommes ; c’est l’Anti-terre ou Antichthone Ἀντίχθων). Voyons comment Philolaüs avait été conduit à postuler l’existence de ce corps.

Avec toute l’École pythagoricienne, il admettait, nous l’avons vu, que « les nombres sont la cause permanente de tout ce qui arrive dans le Monde ». Or, pour les Pythagoriciens, le nombre Dix était le nombre parfait : aussi Philolaüs voulait-il que dix corps célestes tournassent autour du feu central ; la sphère des étoiles fixes, les cinq planètes, le Soleil, la Lune, la Terre enfin fournissaient neuf corps sidéraux ; il en fallait un dixième, d’où l’hypothèse de l’Anti-terre.

Que la pensée de Philolaüs ait bien suivi une telle démarche, nous le savons par des témoignages multiples.

« Il semble aux Pythagoriciens, dit Aristote en sa Métaphysique[1], que Dix est un nombres parfait et qu’il comprend en lui-même toute la nature des nombre ; ils affirment que dix est le nombre des corps qui sont mûs dans le Ciel ; et comme, seuls, neuf tels corps nous apparaissent, à titre de dixième, ils ajoutent l’Antichthone. »

Alexandre d’Aphrodisias, commentant ce passage de la Métaphysique, écrit plus explicitement[2] :

« Les Pythagoriciens réputaient que Dix était un nombre parfait ; d’autre part, les phénomènes leur montraient que neuf est le nombre des sphères en mouvement, savoir les sept sphères des astres errants, la huitième qui est celle des étoiles fixes, et la neuvième qui est celle de la Terre : ils croyaient, en effet, que la Terre se meut en cercle autour du foyer fixe de l’Univers qui, selon eux, est constitué par le feu : ils ajoutaient donc, en leurs doctrines, une sorte d’Anti-terre : ils supposaient qu’elle se meut toujours à l’opposé de la Terre, et ils pensaient que, par cela même, elle demeure toujours invisible. Aristote parle encore de ces choses aux livres Du Ciel et, avec plus de détails, en son écrit Sur les doctrines des Pythagoriciens. »

C’est en se référant à cet ouvrage Sur les doctrines des Pythagoriciens que Simplicius[3] nous donne des renseignements qui concordent avec les précédents :

  1. Aristote, Métaphysique, livre I, ch. V (Aristotelis Opera, éd. Ambroise Firmin-Didot, t. II, p. 171 ; éd. Bekker, vol. II, p. 986, col. a).
  2. Alexandri Aphrodisiensis In Aristotelis Metaphysica commentaria. Edidit Michael Hayduck. Berolini, 1891 : in lib. I cap. V, pp. 40-41.
  3. Simplicii In Aristotelis De Cœlo libros commentarii ; in lib. II cap. XIII (Éd. Karsten, pp. 228-229 ; éd. Heiberg, pp. 511-512).