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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


souverain Bien par une marche compliquée que composent plusieurs rotations simples ; la terre, enfin, qui est, de tous les corps de la nature, le plus éloigné du premier Moteur, demeure en une constante immobilité.


XIV
LA PLURALITÉ DES MONDES

Les notions de mouvement naturel et de lieu naturel sont à la base de tous les raisonnements qu’Aristote a développés touchant la pesanteur et la légèreté, touchant la figure, la position et l’immobilité de la terre ; elles ne jouent pas un rôle moins important, dans un autre problème que le Stagirite s’attache à résoudre, le problème de la pluralité des mondes ; et peut-être n’est-il point, dans toute sa Physique, de problème où se marque mieux le sens exact qu’il attribuait à ces deux notions.

« Nous entendons en général le mot Ciel (Οὐρανός) », dit Aristote[1], « au sens de Tout, d’Univers (Ὅλον ϰαὶ τὸ Πᾶν) ». Dans son traité Du Ciel, il démontre, tout d’abord, que l’Univers est limité ; puis, tout aussitôt, il aborde[2] cette question : « Y a-t-il plusieurs cieux, c’est-à-dire plusieurs univers ? » Cette question, il la résout par la négative et, pour justifier sa solution, il fait appel à deux principes.

Du premier principe, nous l’avons entendu maintes fois invoquer l’autorité. Ce principe consiste à distinguer le repos naturel et le mouvement naturel du repos violent et du mouvement violent. Nulle part ailleurs, en ses écrits, ne se trouvent aussi nettement formulés les deux axiomes qu’il emploie si volontiers dans ses déductions, et qui sont les suivants :

1o Si un corps peut, sans aucune violence, demeurer immobile en un lieu, qui est alors son lieu naturel, lorsqu’on le placera hors de ce lieu, il se portera vers lui par nature ; et réciproquement, si un corps se porte de mouvement naturel vers un certain lieu, c’est que c’est son lieu naturel, où il demeurerait immobile sans qu’aucune violence eût à l’y contraindre.

Ainsi le lieu naturel du feu est la région qui se trouve immédia-

  1. Aristote, De Cœlo, lib. I, cap. IX (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 382 ; éd. Bekker, vol. I, p. 278, col. b).
  2. Aristote, De Cœlo, lib. I, cap. VIII (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 378-380 ; éd. Bekker, vol. II, pp. 276, coll. a-p, 277, col. b).