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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


directement encore, étayée par l’expérience. Que d’un endroit marqué, on jette une pierre autant de fois que l’on voudra ; on verra toujours cette pierre retomber exactement à la place d’où elle a été verticalement lancée ; en serait-il ainsi si la terre s’était mue pendant le temps que la pierre a cessé de reposer à sa surface ?

Cette preuve, nous le savons aujourd’hui, est sans valeur ; la vitesse initiale de la pierre n’est pas seulement la vitesse verticale et dirigée de bas en haut que l’observateur lui a imprimée en la lançant ; il faut y joindre la vitesse dont cet observateur, lié à la terre, était animé ; la composition de ces deux vitesses initiales explique pourquoi la pierre retombe presque exactement au lieu d’où elle a été jetée. Mais que de siècles et que d’efforts il a fallu pour substituer un raisonnement exact à l’argumentation fautive d’Aristote ! Galilée lui-même n’y est pas entièrement parvenu et il a laissé à Gassendi la gloire de découvrir la solution exacte de ce problème. Longtemps donc la preuve expérimentale donnée par Aristote restera l’un des arguments invoqués avec confiance par les tenants de l’immobilité de la terre.


4.


Le mouvement des cieux exige qu’il y ait au centre du Monde un corps pesant et immobile ; la Physique démontre que la terre ne peut pas être mue de mouvement circulaire ; l’expérience prouve, d’ailleurs, qu’en fait, elle ne se meut pas ; ce n’est pas encore assez ; nous sommes assurés de l’immobilité terrestre, nous en connaissons le τὸ ὅτι ; il nous faut maintenant connaître la cause qui maintient cette immobilité, il nous en faut découvrir le τὸ διότι.

Avant Aristote, d’autres physiciens ont tenté de donner la raison pour laquelle la terre demeure immobile au milieu du Monde ; ils n’y sont pas parvenus, au gré du Stagirite qui se montre sévère pour leurs insuffisantes explications[1].

Certains ont dit que la Terre demeurait immobile au milieu du Monde par raison de symétrie (διὰ τὴν ὁμοιότητα) ; « tel Anaximandre parmi les anciens », dit Aristote ; tel Platon parmi les modernes, aurait-il pu ajouter. Mais cette raison ne saurait suffire à rendre compte du repos de la terre au centre du Monde ; elle

  1. Aristote, De Cœlo, lib. II, ch. XIII (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 405-406 ; éd. Bekker, vol. I, p. 293, col. a-296, col. a).