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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


2.


La circulation même de l’orbe suprême exige qu’il y ait, au centre du Monde, un corps pesant et immobile. « Il faut donc[1] que la terre existe ; elle est ce corps qui demeure immobile au centre. Pour le moment, nous supposerons cette immobilité, elle sera démontrée plus tard. »

Ces derniers mots nous annoncent qu’Aristote ne se contentera pas, pour démontrer que la terre est immobile, de l’argumentation que nous venons de rapporter, il consacre, en effet, à établir cette proposition, une bonne partie de l’un des chapitres[2] du Περὶ Οὐρανοῦ.

Prenant, tout d’abord, comme un fait l’existence d’une terre pesante, le Stagirite démontre, par les principes de la Physique, que cette terre ne saurait être mue d’un mouvement circulaire perpétuel, « soit qu’on veuille, comme certains le prétendent, que ce mouvement soit analogue à celui d’une planète, soit qu’on veuille le réduire à un mouvement de rotation autour de l’axe du Monde. »

Ce mouvement circulaire, en effet, ne saurait être un mouvement naturel à la terre ; chacune des parties de la terre, lorsqu’elle est rendue libre, se meut de mouvement rectiligne vers le centre du Monde ; le mouvement qui est naturel à chaque partie doit aussi être naturel au tout, en sorte que la terre, prise en son ensemble, a certainement pour mouvement naturel le mouvement rectiligne et dirigé vers le centre qui caractérise les corps graves. Mais Aristote a posé[3] comme vérité certaine qu’une substance simple ne pouvait avoir pour mouvement naturel qu’un seul mouvement simple ; à la terre, élément simple, ne sauraient appartenir, en même temps, deux mouvements naturels simples, le mouvement rectiligne et le mouvement circulaire. Si donc la terre se meut de mouvement circulaire, c’est que ce mouvement est, en elle, par violence ; mais alors, il ne saurait durer perpétuellement ; c’est encore, en effet, une des propositions essentielles de la Physique péripatéticienne, que tout ce que la violence engendre contrairement à la nature doit, tôt ou tard, prendre fin, en sorte que la nature reprenne son cours normal : « Une chose qui subsiste

  1. Aristote, De Cœlo, livre II, cap. III (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 392 ; éd. Bekker, vol. I, p. 286, col. a).
  2. Aristote, De Cœlo, livre II, cap. XIV (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 407-408 ; éd. Bekker, vol. I, p. 296, col. a-298, col. a).
  3. Vide supra, § IV, pp. 171-172.