Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
224
LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


encore qu’il trouve, hors de lui, quelque chose qui demeure fixe et en repos. Et c’est là une proposition bien digne de l’attention des savants ; elle s’applique non seulement au mouvement des animaux, mais encore au mouvement et au transport par impulsion de toute espèce de corps ; de même, en effet, il faut qu’il existe quelque chose d’immobile partout où un corps doit être mû. »

Ce qu’Aristote ou l’auteur, quel qu’il soit, de cet écrit entend affirmer, c’est la nécessité d’un support fixe auquel s’appuie l’organe ou l’instrument qui doit pousser le corps à mouvoir. L’exemple choisi ne laisse aucun doute à cet égard : Un homme qui se trouve en un bateau aura beau faire tous les efforts qu’il voudra sur les parois de ce bateau, il ne le mettra pas en mouvement ; s’il est sur la rive immobile, il lui suffira de pousser légèrement le bord ou le mât pour ébranler la barque.

Entre cette nécessité d’un point d’appui pour le moteur qui doit mouvoir un corps et la nécessité, affirmée par Aristote, d’une masse fixe au centre d’un corps qu’anime un mouvement de rotation, on ne peut raisonnablement admettre le rapport qu’Alexandre, Thémistius et Simplicius ont cru reconnaître. La suite même du livre Du mouvement des animaux, fait d’ailleurs évanouir jusqu’à la moindre trace de ce rapport. L’auteur y parle longuement[1] de l’immobilité de la terre et du mouvement du Ciel ; mais c’est, pour réfuter l’erreur de ceux qui voudraient attribuer le mouvement du Ciel à un moteur prenant sur la terre son point d’appui fixe. Partant, si le mouvement du Ciel requiert l’existence d’une terre immobile, ce n’est point en vertu du principe général que pose le traité Du mouvement des animaux ; l’auteur de ce traité s’inscrirait en faux contre l’argumentation qui, de ce principe, tirerait cette conséquence ; Alexandre, Thémistius et Simplicius ont sûrement méconnu la pensée de cet auteur.

À les bien prendre, donc, les propositions formulées au traité Du mouvement des animaux n’ont rien à faire avec la question qui nous occupe ; il convenait cependant de les mentionner, car les commentateurs les invoqueront souvent en l’examen de cette question.

Le texte de Simplicius, que nous avons cité, contient autre chose que cette allusion peu justifiée au traité Du mouvement des animaux : il nous découvre le principe qui, sans être formellement énoncé, se trouve sous-entendu par tout le raisonnement d’Aristote.

  1. Aristote, Op. laud., III, (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 518-519 ; éd. Bekker, vol. I, p. 699, col. a et b).