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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

La croyance en l’immobilité de la terre au centre du Monde était donc fortement ébranlée dans les Écoles contemporaines de celle de Stagirite. En l’absence même de toute donnée historique positive, on l’eût pu deviner au soin avec lequel le Philosophe argumente en faveur de cette croyance.

Son argumentation peut se résumer sous quatre chefs principaux :

1o Le mouvement du Ciel exige qu’un corps immobile, étranger au Ciel, occupe le centre du Monde ;

2o Des raisons de Physique prouvent qu’il n’est pas possible que la terre se meuve ;

3o Des expériences démontrent qu’en fait, la terre ne se meut point ;

4o Enfin la Physique nous enseigne la cause du repos de la terre.

Passons sommairement en revue les raisonnements par lesquels Aristote soutient chacune de ces quatre propositions.


1


Au Traité du Ciel, Aristote se demande pourquoi, au lieu d’un ciel unique, animé d’un seul mouvement de rotation, il existe plusieurs cieux concentriques qui se meuvent diversement. C’est en répondant à cette question qu’il écrit ce qui suit[1] :

« Le Ciel n’est pas, en son entier, un seul et même corps, car tout corps animé d’un mouvement de rotation tourne nécessairement autour d’un centre fixe ; et, d’autre part, si une sphère est animée d’un mouvement de rotation, il n’est aucune partie de cette sphère qui demeure absolument fixe. »

La première proposition formulée par Aristote ne saurait faire l’objet d’un doute ; dans une sphère animée d’un mouvement de rotation, le centre est fixe. Entre cette proposition et celle qui la suit, la continuité logique est visiblement interrompue ; il nous faut suppléer une pensée que le Stagirite sous-entend, et cette pensée ne peut être que celle-ci : Ce qui est immobile, ce n’est pas un simple point, le centre géométrique ; il faut que ce soit une portion de matière d’une certaine étendue, il faut que ce soit un corps.

Cet intermédiaire rétabli, la suite des raisonnements du Stagirite se déroule sans interruption.

  1. Aristote, De Cœlo, lib. II, cap. III (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 392-393 ; éd. Bekker, vol. I, p. 286, col. a).