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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

ἀνισόρροπον). En effet, dit-il, le centre du poids et de la densité (τὸ μέσον τῆς ῥοπῆς ϰαὶ τοῦ βάρους) n’est pas pour tous les corps denses, exactement le même point que le centre de la grandeur (τὸ μέσον τοῦ μεγέθους) : pour certains corps, il s’écarte de ce dernier, car tous les corps denses n’ont pas même densité en toutes leurs parties (ἰσοϐαρῆ) ; et il faut, faire attention que le centre [du Monde] retient les corps denses par le centre de leur pesanteur propre et non pas par le centre de leur grandeur (σπεῦδει δὲ τὰ βαρέα τῷ τῆς ῥοπῆς τῆς οἰϰείας μέσῳ λαβέσθαι τοῦ μέσου, οὐ τῷ τοῦ μεγέθους μέσῳ). Partant, que la grandeur de la terre ne soit pas, de toutes parts, équidistante du centre [du Monde], cela n’empêche aucunement que le centre de la terre, celui qui est relatif au poids, se trouve au centre de l’Univers. — Διόπερ οὐδὲν ϰωλύει τοῦ μέσου τῆς γῆς τοῦ ϰατὰ τὴν ῥοπὴν ὄντος ἐν τῷ τοῦ πάντὸς μέσῳ τὰς τοῦ μεγέθους τῆς γῆς ἀποστάσεις τὰς ἀπὸ τοῦ μέσου μὴ πάντῃ ἴσας εἶναι. »

Le passage d’Aristote et les quelques lignes de Simplicius que nous venons de citer ont eu, sur le développement des sciences de la nature, une influence dont il est difficile d’évaluer la puissance et l’étendue.

Reprise au XIVe siècle par les Nominalistes de Paris[1], et développée par les mathématiciens au XVIe et au XVIIe siècles, la supposition qu’en chaque corps pesant, le centre de gravité est le point qui tend à s’unir au centre du Monde a donné naissance à toute une Statique ; erronée en son principe, cette Statique n’en a pas moins légué à la Science moderne plusieurs propositions d’une extrême importance ; les paradoxes qu’elle engendre ont mis aux prises les meilleurs géomètres du XVIIe siècle et suscité entre eux une âpre discussion : par cette discussion, les corollaires exacts de cette doctrine ont été détachés du principe faux qui les avait engendrés.

L’équilibre de la terre, assuré lorsque le centre de gravité de ce corps est uni au centre du Monde, est troublé par tout déplacement de poids qui dérange ce centre de gravité. Les transports de masses pesantes à la surface de la terre ont donc pour effet d’obliger la terre entière à des mouvements petits et incessants ; ces mouvements tendent à remettre au centre du Monde le centre de la gravité terrestre qui s’en est quelque peu écarté. À partir du XIVe siècle, les Nominalistes de l’Université de Paris accorderont une grande attention à ces petits déplacements ; par là, ils accoutumeront les esprits à regarder comme sans cesse en mouvement

  1. P. Duhem, Les Origines de la Statique, t. II, pp. 2-185.